Montreux (Suisse), envoyée spéciale
Il n’y a pas que le jazz à Montreux. En vingt-quatre ans, Grégoire Furrer, président-fondateur du Montreux comedy festival, a imposé cette petite ville suisse comme un rendez-vous incontournable pour les humoristes. Jusqu’au 10 décembre, au bord du lac Léman, artistes confirmés et jeunes talents se pressent pour assoir ou décrocher une notoriété.
Deuxième plus importante rencontre consacrée au rire après le mastodonte et historique festival Juste pour rire de Montréal, Montreux n’est pas seulement une scène et une carte de visite pour les humoristes mais aussi une « marque » déclinée à la télévision et sur YouTube. Signe des temps, pour la première fois cette année, le festival de Montreux a convié quelques stars de l’humour sur le web comme Norman ou le collectif du Studio Bagel (dont je vous ai parlé ici). Rencontre avec Grégoire Furrer et retour sur plus de deux décennies de rire.
Grégoire Furrer, président-fondateur du Montreux Comedy festival
Entre 1989 et aujourd’hui, comment a évolué le secteur de l’humour ?
Dans les années 1980, il y avait quelques café-théâtres, quelques humoristes connus, mais on parlait peu de l’humour, c’était mineur. J’ai eu le sentiment qu’il fallait créé un festival, je l’ai monté à l’instinct. En 1990-1991, je suis allé voir le festival Performance d’acteurs à Cannes, le off d’Avignon et Juste pour rire à Montréal. A Avignon, j’avais eu un coup de cœur pour Patrick Timsit, qui jouait dans une toute petite salle. A Cannes, j’étais tombé en admiration devant François Rollin et j’avais aussi beaucoup aimé Dany Boon et Jango Edwards. Je les ai invité à Montreux. J’aimais les univers très différents de ces artistes. A Montréal, j’ai découvert l’industrie culturelle du rire avec les galas, les caméras dans la salle, les émissions de télé. C’était l’incarnation du modèle anglo-saxon. Je me suis dit : c’est ça que je veux faire; faire cohabiter ces deux mondes, l’humour et l’entertainment. Mais quand je suis revenu en Europe, et que j’ai voulu filmer les spectacles, je me suis pris, comme on dit en Suisse, des portes de grange pendant des années. Il y a vingt ans les artistes ne voulaient pas de caméras dans la salle, ils en avaient peur. Ils se battaient contre la présence des télévisions.
Pourquoi ?
Parce qu’en France on oppose la télé et le spectacle vivant. On pensait qu’il était impossible de faire plaisir aux spectateurs et aux téléspectateurs. Or, on doit être capable de servir les deux. Bien sûr il y a des formes qui s’y prêtes plus que d’autres. Le stand up, avec le rythme d’une ligne-un gag est un format beaucoup plus télévisuel que le sketch qui peut installer des silences et des subtilités moins percevables à la télévision.
A quel moment la présence des caméras en salle s’est imposée ?
J’ai vu le point de bascule s’opérer il y a une dizaine d’années avec l’arrivée de la mode des Zenith. Tout d’un coup, rien n’était trop beau en terme de grandeur de salle. Les humoristes se sont lancés dans des grandes tournées, des shows où il était indispensable d’avoir des écrans pour le confort de vue de tous les spectateurs. A partir de là, la captation n’a plus été un problème. Les deux mondes qui s’opposaient ont fini par se mélanger. Et maintenant, on arrive à une situation inversée. Une partie des artistes viennent de l’audiovisuel et du web. L’audiovisuel est devenu le centre de l’éco-système de l’humour.
Il n’y a plus que le « vu à la télé » qui remplit les salles ?
Ceux qui font des carrières seront toujours ceux qui ont un univers particulier et quelque chose à défendre. Celui qui fait trois vidéos sur le web vues des millions de fois mais qui n’a pas d’univers ne marchera pas longtemps. Dans l’histoire de l’humour, tous ceux – quel que soit le pays – qui ont eu du succès viennent de la scène : les Monty Python, Mister Bean, Eddy Murphy, les Inconnus, le Splendid, Gad Elmaleh, Dany Boon, etc.
La carte blanche que vous avez donné cette année aux comédiens du Studio Bagel, stars des vidéos humoristiques sur le web, n’a pas convaincu vendredi 6 décembre sur la scène du Comedy club…
Certains jeunes qui font du web ont parfois du mal avec la présence sur scène. C’est certain. Rien ne remplacera le travail. Ils ne vont pas tous réussir. Mais ils génèrent du public. Rappelons-nous des émissions comme La Classe ou le Petit théâtre de Bouvard. Ceux qui y sont passés n’ont pas tous réussi. Quant à la récente émission de Laurent Ruquier, On ne demande qu’à en rire, elle a été extraordinaire en terme de coup de projecteur sur les humoristes. Mais, pour l’heure, il n’y en a que trois qui semblent tirer leur épingle du jeu: Jérémy Ferrari, Arnaud Tsamère et peut-être Olivier de Benoist.
Il n’y a jamais eu autant de one man show qu’aujourd’hui. Quel regard portez-vous sur l’évolution des sujets abordés sur scène ?
L’humour doit rester un miroir sur la société, un regard sur la vie. Malheureusement, à l’heure actuelle, j’ai le sentiment que le filtre est formaté pour tout le monde. On est un peu dans la bien-pensance. Comme nous sommes abreuvés sans cesse de médias et de thématiques récurrentes, au bout d’un moment tout le monde pense la même chose et fait la même chose. Il n’y a plus vraiment d’humour polémique, ou alors de la fausse polémique. Tout reste consensuel, on tape toujours sur les mêmes personnages. Plus personne n’ose dire grand chose.
En vingt-quatre ans, quels ont été les artistes découverts à Montreux ?
Eric et Ramzy, Chirley et Dino, Anne Roumanoff, Laurent Gerra, etc Et puis après 2000, il y a eu la nouvelle génération : Eric Antoine, Arnaud Tsamère, Michaël Grégorio, Gaspard Proust, Antony Kavana, qui a fait chez nous sa première scène européenne.
Gaspard Proust sur la scène du festival de Montreux
Comment faites-vous votre programmation, votre marché ?
Montreux est aujourd’hui ultra sollicité. Les artistes veulent tous revenir. Mais il faut faire attention ; trouver l’équilibre pour maintenir la découverte de jeunes talents. Je vais voir beaucoup de spectacles mais je vais aussi beaucoup à l’étranger pour me nourrir d’expériences nouvelles. Je crois beaucoup à l’internationalisation de l’humour. L’année prochaine nous aurons des artistes africains francophones mais aussi le comique égyptien Assam Youssef.
La « marque » Montreux, c’est quoi ?
Le festival, le partenariat avec la Radio télévision suisse ( RTS) qui coproduit toutes les images, nos émissions télé sur France 4 et comédie + et notre chaîne YouTube avec 2 millions de vues par mois. Cette marque permet de nous exporter. Nous avons un projet avec Dakar pour monter un plateau africain. Des comedy club se créent au Cameroun, au Sénégal, le phénomène est vraiment intéressant à suivre. Le budget de Montreux est de 2,5 millions, dont 1,2 million de droits et production avec la RTS. Le reste est financé à 30% par de l’argent public (ville et canton), des sponsors (400 000 euros) et les recettes propres (400 000 euros). Sur les six jours de festival nous accueillons 10 000 spectateurs.
Propos recueillis par Sandrine Blanchard
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Source Article from http://rires.blog.lemonde.fr/2013/12/09/il-ny-a-plus-vraiment-dhumour-polemique/
Source : Gros plan – Google Actualités
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