Denys Robiliard poursuit son chemin. Dans une relative solitude, ce député socialiste du Loir-et-Cher a porté pendant un an une «mission d’information sur la santé mentale et l’avenir de la psychiatrie». Il l’a fait, sans œillère, recevant tous les acteurs de cet univers fragmenté. En mai, dans un prérapport, il avait pointé une «hausse énorme» du nombre d’hospitalisations en psychiatrie sans le consentement de la personne : plus de 50% en cinq ans. Etat des lieux, à l’occasion de la fin de sa mission, d’une psychiatrie publique en panne d’avenir.
Ces dernières années, il y a eu beaucoup de rapports sur la psychiatrie qui préconisaient souvent des recommandations similaires. Mais ils n’ont pas été suivis d’effet…
Aucune des recommandations n’a en effet été mise en œuvre. Peut-être que cela pointe une force d’inertie du côté des soignants en psychiatrie, une sorte de résistance au changement.
Quel est votre diagnostic ?
Le paysage psychiatrique n’est pas stable, et surtout il ne va plus l’être. D’abord, il est clairement confronté à un problème d’effectifs, avec des perspectives délicates : plus de 20% des postes de psychiatre sont vacants dans le public.
En même temps, il n’y a jamais eu autant de psychiatres en France…
Nous avons une forte densité : 22 psychiatres pour 100 000 habitants. Seule la Suisse fait mieux avec 45. Mais nous avons une mauvaise répartition entre le public et le libéral. Et même dans le libéral, s’il y a pléthore de psychiatres dans certaines zones, d’autres sont assez dépourvues : 80% des psychiatres exercent dans des villes de plus de 50 000 habitants. Comme pour le reste des médecins, nous avons de forts déséquilibres régionaux et, dans cinq ans, près de 40% des psychiatres vont prendre leur retraite. Dans ce contexte, ne rien faire est impossible ou suicidaire.
Que faire alors ?
Il n’y a pas le choix : nécessité faisant loi. On va faire avec des délégations de compétence des psychiatres vers les psychologues, les infirmiers, comme cela se pratique en Allemagne, en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis. Des actes médicaux doivent pouvoir être effectués par d’autres. Sans baisser la qualité des soins, on peut ainsi réarticuler les exercices professionnels pour permettre d’assurer l’offre de soins nécessaire.
Dans votre prérapport, vous aviez pointé le développement des mesures de contention qui se multiplient…
Oui, on assiste là à une forte dérive : s’il y a un indice pour mesurer la dégradation de la psychiatrie, c’est bien celui-là. C’est ce que nous a dit fortement le docteur Jean-Claude Pénochet, président du Syndicat des psychiatres des hôpitaux : «La contention est un indicateur de la bonne ou de la mauvaise santé de la psychiatrie. Plus la psychiatrie va mal, plus la contention sera utilisée.» Or, tous les acteurs notent une progression des mesures de contention, avec les chambres d’isolement, les mesures aussi pour attacher les malades, certains pointant même une culture de personnel soignant qui a été modifiée. La docteure Christiane Santos, secrétaire générale de l’Intersyndicale de défense de la psychiatrie publique, a mené une enquête qui a fait ressortir que la pratique de la contention était utilisée partout.
Les raisons invoquées ?
Souvent, on évoque la diminution du nombre de soignants dans les équipes, la féminisation de ces équipes et le manque de formation des infirmiers et des jeunes médecins.
Et cela va de pair avec la hausse des hospitalisations sans consentement…
C’est impressionnant aussi. Y a-t-il un air du temps qui fait de la sécurité un principe directeur ?
Comment inverser cette tendance vers une psychiatrie de la contrainte ?
Je ne suis pas psychiatre, je n’ai aucun titre, je regarde avec les yeux du citoyen. Mais comment se fait-il que, dans certains hôpitaux, il y ait un recours très fréquent à la contention et pas dans d’autres ? Le monde de la psychiatrie doit affronter cette question. Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, Jean-Marie Delarue, est allé plus loin. Il a insisté sur «les fortes différences de régimes qui peuvent exister entre les unités dans un hôpital déterminé […]. Ce ne sont donc pas les types d’affection qui vont déterminer le régime, mais la volonté du responsable d’unité, qui va définir un régime particulier». Autre exemple : Jean-Marie Delarue évoque l’accès au téléphone portable. Il est autorisé dans certaines unités, sans guère de restrictions ; dans d’autres, il faut quémander le droit d’utiliser son propre téléphone. Aucune raison ne justifie de telles différences car, s’agissant des droits des malades, les régimes doivent être identiques sauf si la nature de la maladie s’y oppose.
Quelles mesures proposez-vous ?
Les chambres d’isolement comme les mesures de contention doivent être des solutions de dernier recours : elles relèvent d’une prescription médicale individuelle, prise pour une durée limitée dont la mise en œuvre doit faire l’objet d’une surveillance stricte. Ce qui n’est pas le cas actuellement. Nous demandons aussi de constituer un registre administratif dans chaque établissement, recensant les mesures d’isolement ou de contention prises et précisant l’identité des patients, le médecin prescripteur, les dates et heures de début et fin des mesures, le nom et la qualification du personnel ayant surveillé leur mise en œuvre. Ces pratiques, au minimum, doivent être explicitées.
Vous insistez sur le rôle clé du secteur…
Oui, en santé mentale, nous sommes souvent sur des maladies au long cours. Le secteur [lire ci-contre], qui définit un cadre géographique avec une offre de soins variés, est une donnée essentielle.
Finalement, comment caractérisez-vous le climat actuel ?
Le monde de la psychiatrie est ballotté, en attente. Il espérait une grande loi de santé mentale. Ce ne sera pas le cas, comme nous l’a redit la ministre de la Santé, Marisol Touraine. On le sait, la psychiatrie est un monde relativement éclaté. Le consensus ne la caractérise pas. En même temps, méfions-nous de la normalisation, il n’y a pas de remède miracle, ce pluralisme est important. Il est le garant de notre liberté.
Source Article from http://www.liberation.fr/societe/2013/12/25/on-assiste-a-une-forte-derive-de-la-psychiatrie_968916
Source : Gros plan – Google Actualités
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