« Non à la Valls des salaires ! », « Service public en danger »… Les fonctionnaires manifestaient ce jeudi 15 mai dans toute la France contre le gel du point d’indice jusqu’en 2017. Cette mesure, qui s’inscrit dans le plan d’économies de 50 milliards dévoilé par Manuel Valls en avril dernier, devrait bloquer les salaires des 5,5 millions d’agents de la fonction publique français en attendant que la croissance redémarre.
A l’appel de sept syndicats, ils étaient 10.000 selon la police, 20.000 selon les organisateurs, à être descendus dans les rues parisiennes. Si la raison officielle invoquée par les manifestants est la défense de leur pouvoir d’achat, le gel du point d’indice n’est venu qu’alimenter un « ras-le-bol général ». Baisse de considération, dégradation de leurs conditions de travail, réduction des effectifs, du budget… la liste des griefs est longue.
Cinq fonctionnaires présents dans le cortège ont accepté de témoigner concernant leur participation à cette mobilisation.
1. Véronique, fonctionnaire territoriale
Véronique est assistant foncier dans les Hauts-de-Seine. Après 31 ans dans la fonction publique, c’est sa première grève – elle a d’ailleurs tenu à le mentionner sur sa pancarte. Elle gagne 1.790 euros net par mois « avec toutes les primes, mais sinon, je suis à 1.595 brut… Vous vous rendez compte ? »
« Vous voyez, ma paire de chaussure, elle m’a coûté 20 euros. C’est du ‘Made in China’, elle est censée me faire toute l’année. Et entre collègues, on se serre les coudes. Par exemple on s’envoie des textos pour ne pas louper les bonnes promotions dans les magasins. »
Les avantages de la fonction publique ? Annihiler, selon elle, par les baisses de revenus :
D’accord, nous avons la sécurité de l’emploi. Mais ça nous sert à quoi si ça on ne peut pas de boucler les fins de mois ? Nous allons vers un esclavagisme moderne ! »
« J’ai une fille de 21 ans, et je ne peux plus lui payer se études de commerce international. J’ai demandé un prêt, on me l’a refusé, sous prétexte que je n’avais pas de ressources. Alors que je n’ai aucun crédit ! »
2. Patrice, policier à Paris
Patrice, 37 ans, est policier dans le XIIIe arrondissement de Paris. 1.900 euros mensuels, et 200 euros d’augmentations en 10 ans de fonction. Auparavant, quand il travaillait « dans le privé », il gagnait le double. Il a décidé de changer de métier, « par vocation », et tant pis s’il s’estime « pris à la gorge à chaque fin de mois ».
Je suis rentré pour aider la population. Mais aujourd’hui, elle nous crache dessus… et je la comprends. Quand on voit la politique du chiffre qu’on nous inflige dans les commissariats, avec une obligation de dresser un certain nombre de contraventions tous les jours, de revenir avec tant d’affaires au poste sous peine d’être sanctionner, on ne correspond plus à notre mission de service public. »
Les économies qu’on inflige aux fonctionnaires ? Lui sait par où commencer : « les marchés publics, où l’Etat est amené à payer le double voire le triple des fournitures qu’il achète. Ou encore les chauffeurs, les voitures, tous les avantages des hauts fonctionnaires. » »On pensait qu’avec Valls au ministère de l’Intérieur ça allait changer, mais tout ce qu’il a fait, c’est nous enfoncer. Aujourd’hui, il y a des collègues qui viennent bosser comme s’ils étaient éboueurs. Rien de méprisant, hein. C’est juste qu’ils font leur service en ayant perdu toute leur motivation. »
3. Guenola, cadre de santé
Guenola, 43 ans, a été infirmière. Aujourd’hui, c’est elle qui les forme dans une école. Après 29 ans dans la fonction publique, elle fait grève « au cas par cas ». Et aujourd’hui, plusieurs raisons l’ont également amené à descendre dans la rue.
« Le gel du point d’indice, bien sûr, mais aussi l’avenir du secteur de la santé, qui m’inquiète ».
Cigarette au bec, elle égraine les dégradations des conditions de travail dans le milieu hospitalier :
La réduction des effectifs, les réorganisations de services, la baisse des moyens… Pour l’instant, ça va, je suis du côté soignante, mais quand je passerai du côté des malades, je ne donne pas cher de ma peau ! »
Alors, lorsqu’elle entend que Marylise Lebranchu a émis ce matin l’hypothèse d’un « geste de solidarité des hauts fonctionnaires » vers les bas revenus, elle reste sceptique : « Le dire c’est bien, le faire c’est mieux ! Niveau revenus, je suis à 2.200 euros net par mois. C’est sûr que comparé à d’autres, je ne suis pas à plaindre. Mais regardez les fonctionnaires de catégorie C par exemple, ils gagnent une misère ! ».
4. Damien, responsable d’étude de voirie
Damien, 33 ans, affirme être entré dans une phase de régression sur sa feuille de paye depuis que la gauche est au pouvoir : environ 40 euros de moins, sur les 1.800 qu’il gagne tous les mois.
Lui aussi supporte mal l’accumulation d’efforts demandés à la fonction publique, qu’il a rejointe il y a 8 ans. En cause, le gel du point d’indice, « mais aussi l’allongement des cotisations retraites », décidé en novembre dernier à l’Assemblée.
On endosse, on endosse… On sait qu’il faut participer à l’effort. Mais à un moment je ne vois pas pourquoi nous serions les seuls à nous serrer la ceinture. »
Et de conclure, dépité : « Franchement, on n’attendait pas ça d’un gouvernement socialiste. » Il ne supporte plus les railleries dont son statut peut faire l’objet : « A chaque fois que l’on parle des fonctionnaires sur internet, j’enrage de voir des commentaires qui nous qualifient de privilégiés, de nantis. Moi j’ai fait des études, j’ai passé des concours pour en arriver là. Et j’estime être dans mon bon droit quand je me bats contre le démantèlement de la fonction publique, auquel j’assiste quotidiennement. »
5. Emmanuel, instituteur
Emmanuel, 35 ans, a oublié de gribouiller une pancarte avant de venir battre le pavé : « Mais si j’en avais fait une, je crois que j’aurais écrit : ‘Il y a 100 ans, nous les professeurs formions le peuple, aujourd’hui nous en sommes la risée' ».
Cet enseignant en classe de CE2 déplore aussi une sérieuse baisse d’estime dont sa profession est victime, couplée à une situation financière délicate. Bref : un « ras-le-bol général ».
Souvent pointer du doigt pour leurs deux mois de vacance annuels, Emmanuel tient à dissiper cette réputation de « feignants » que traînent les enseignants :
Mon temps hors de l’école, pendant mes jours de repos et mes vacances, est souvent mis à contribution pour ma classe, pour préparer mes cours et en faire bénéficier mes élèves. Un ingénieur, quand il rentre chez lui après le travail, sa journée est terminée. Pas la mienne. »
Et de conclure, las : « Avant, quand je manifestais, c’était pour mes conditions de travail. Maintenant, c’est de mes conditions de vie dont il s’agit. Dix ans que le point d’indice est bloqué ! Je suis à découvert, il me reste zéro euro à la fin du mois. A côté de ça, il y a la réforme des rythmes scolaires, qui a été réalisée au détriment de notre temps libre… »
C.Q. – Le Nouvel Observateur
Source Article from http://tempsreel.nouvelobs.com/politique/20140515.OBS7346/patrice-damien-guenola-fonctionnaires-ils-ont-manifeste-aujourd-hui.html
Source : Gros plan – Google Actualités
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