Qui aurait pu prédire il y a un an que le prix du baril de pétrole, qui était déjà passé entre janvier 2014 et janvier 2015 de 110 à 50 dollars, poursuiverait sa chute et tomberait sous la barre des 30 dollars? C’est pourtant ce qui est arrivé vendredi 15 janvier pour la première fois depuis douze ans, les cours plongeant dans la perspective d’un bond imminent des exportations iraniennes, après la levée des sanctions contre Téhéran. Depuis, le cours oscille entre 27 et 29 dollars.
Cette baisse va-t-elle se poursuivre dans les mois qui viennent? L’Arabie Saoudite va-t-elle lâcher du lest en diminuant son niveau de production? L’Opep va-t-elle exploser? L’analyse de Thomas Porcher, économiste spécialiste du pétrole et professeur à la Paris school of business, auteur de l’ouvrage « 20 idées reçues sur l’énergie » paru chez De Boeck en 2015.
Quel impact va avoir le retour de l’Iran sur le marché du pétrole?
Cela va conforter la baisse du prix du baril. Le marché est en suroffre. Aujourd’hui cet excès d’offre sur la demande de pétrole se monte à 1,8 million de barils par jour et cela va encore augmenter après l’annonce lundi de Téhéran de produire 500.000 barils par jour en plus*. La demande est extrêmement faible, cela n’a rien à voir avec la période 2004-2014 qui était tirée par la demande chinoise.
Le prix du baril va-t-il encore baisser durant les prochains mois?
C’est tout à fait possible. On peut aller à 20 dollars, voire en-dessous, ce qui serait irréel. Il y a un gap tellement énorme entre l’offre et la demande. Cette baisse continue depuis un an s’explique par trois facteurs: l’explosion du pétrole de schiste américain, qui a amené une nouvelle offre et fait des Etats-Unis le premier producteur de pétrole, la chute de la demande et la politique monétaire américaine qui a pesé sur les émergents. L’Inde, par exemple, aurait pu pallier la faible demande chinoise, seulement quand le dollar est fort, les émergents s’endettent en dollars ce qui pèse sur la consommation et donc sur la croissance.
L’Arabie Saoudite qui maintient coûte que coûte son niveau de production pour affaiblir ses concurrents, peut-elle poursuivre encore longtemps cette stratégie très agressive?
On assiste à une guerre du pétrole. Ils ne veulent pas couper leur production pour ne pas perdre de parts de marché, affaiblissant ainsi les autres pays. La stratégie saoudienne va à l’encontre des intérêts des autres acteurs. En plus, cette baisse est moins douloureuse pour l’Arabie Saoudite puisque le pétrole saoudien est rentable à partir de 20 dollars le baril. Et même si cette baisse creuse le déficit budgétaire saoudien (Riyad a enregistré en 2015 un déficit budgétaire record de 89 milliards d’euros, Ndlr), le pays peut s’appuyer sur des réserves colossales (environ 650 milliards de dollars, Ndlr). C’est la même chose pour les autres pays du Golfe qui grâce à leurs fonds souverains importants peuvent apaiser les tensions sociales.
Mais cette stratégie rend la vie impossible aux pays concurrents comme le Venezuela, l’Algérie ou le Nigeria. Pour eux c’est terrible. Ce sont des pays dont environ 90% de leurs exportations sont des hydrocarbures. Le pétrole pour ces pays n’est rentable qu’à partir de 80 voire 120 dollars le baril. Il y a une déconnexion totale entre les coûts d’extraction du pétrole et le prix du marché. Même l’Iran, dont les coûts d’extraction sont aujourd’hui de 20 dollars le baril, va avoir des difficultés. Téhéran va devoir investir dans son appareil productif et le coût d’extraction devrait plutôt se situer autour de 60 dollars dans les mois qui viennent. Mais la Russie et les producteurs de pétrole de schiste aux Etats-Unis subissent aussi de plein fouet cette stratégie baissière qui ne sert que les Saoudiens.
L’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) a convoqué une réunion extraordinaire le 12 janvier pour essayer de trouver une solution. Sans succès…
Depuis sa création en 1960, l’Opep amplifie la stratégie de l’Arabie Saoudite. Il faut bien comprendre que le patron, c’est celui qui a le plus de réserves, c’est-à-dire l’Arabie Saoudite. Après, si ces prix se prolongent, il va y avoir un risque de scission au sein de l’Opep. Il y a historiquement un axe Iran/Venezuela contre les pays du Golfe. Mais compte-tenu de la situation, les pays les plus en difficultés ne devraient pas tarder à se montrer plus agressifs. Les prochaines réunions vont être très tendues.
Le Venezuela, l’Algérie, le Nigeria ou même l’Iran peuvent-ils quitter l’Opep?
C’est possible de sortir de l’Opep, le Gabon ou l’Indonésie l’ont fait, mais cela ne changera pas grand-chose à la situation. Que feront-ils de plus une fois dehors? Encore une fois, ce sont les Saoudiens qui ont la clé.
Comment résistent les producteurs de pétrole de schiste américains à cette chute du prix du baril?
Il y a eu des faillites et une baisse des investissements mais ils se sont adaptés. Il y a eu un partage du gâteau, les communes récupèrent moins d’argent pour protéger la rentabilité des exploitants. Mais ce n’est pas facile. Il y a quelques mois, ils foraient à 60 dollars le baril et le revendaient à 100 dollars, c’était très juteux. Là c’est compliqué, même dans le Dakota où le coût d’extraction est le plus faible – autour de 40 dollars – le pétrole n’est plus rentable. Les producteurs de schiste américains sont aussi confrontés à des normes environnementales plus fortes qu’avant. Et puis surtout les Américains ont des réserves de court terme. Ils n’ont pas le pouvoir.
* L’Agence internationale de l’énergie (AIE) mentionne dans son rapport mensuel sur le pétrole, publié mardi 19 janvier, un chiffre inférieur. Elle indique que « le marché pétrolier est confronté à la perspective d’une troisième année consécutive où l’offre dépassera la demande de 1 million de barils par jour ». Avec la levée samedi des sanctions économiques et financières qui frappaient l’Iran, la production mondiale pourrait s’accroître d’environ 300.000 barils par jour d’ici à fin mars, selon l’agence énergétique basée à Paris. Cette hausse contrebalancera largement la baisse de régime des producteurs non membres de l’Opep, comme les Etats-Unis: ils devraient pomper 600.000 barils de moins cette année, après une hausse de 1,4 million de barils par jour en 2015 et même 2,4 millions en 2014.
Source Article from http://www.challenges.fr/challenges-soir/20160119.CHA4090/chute-du-prix-du-petrole-pourquoi-l-opep-peut-exploser.htmlSource : Gros plan – Google Actualités
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