Pour la grande majorité des Français- extrême gauche exclue- le responsable de tous leurs maux est la Dépense Publique, un monstre vorace, glouton, insatiable, qui en demande toujours plus et en restitue toujours moins. Pour sauver le pays, il est urgent de couper sinon la tête du monstre, au moins ses innombrables pattes, bref de baisser la dépense publique.
Moins de dépenses, moins de prestations
Sur la base de cette vision caricaturale, il sera difficile de mettre fin rapidement à notre addiction à la dépense publique. Elle ne cesse d’augmenter et représente une part du PIB supérieure à celle de nos voisins (57%) et elle croît année après année.
Rappelons néanmoins que notre dépense publique inclut des prestations sociales qui dans d’autres pays relèvent de l’assurance, ce qui fausse les comparaisons. Rappelons surtout que la dépense publique est redistribuée sous forme de salaires ou de prestations et que la baisse de la dépense entraîne une baisse ou une disparition de ces salaires et prestations. Ceux qui réclament avec vigueur que l’État dépense moins constateront l’année suivante une chute de leur pouvoir d’achat. Arithmétiquement, l’effet de la baisse est le même qu’une hausse des prélèvements, si elle sert à réduire le déficit, comme il est prévu, au moins les premières années.
Un effet dépressif sur l’activité économique
La pénibilité pour le citoyen d’une prestation en moins serait -elle plus faible que signer un chèque pour régler un impôt. ? Cela est généralement admis même si les bénéficiaires de la dépense publique sont en moyenne moins nantis que les contribuables soumis aux impôts directs. Certes, il existe des exceptions, des privilégiés qui bénéficient de fonds publics et des personnes de conditions modestes qui supportent des impôts trop lourds. Rappelons enfin que la baisse de la dépense publique a un effet multiplicateur sur l’activité économique, donc dépressif, au même titre que la hausse des impôts.
Dans une conjoncture caractérisée par un risque de déflation, il est prudent d’étaler dans le temps la réduction de la dépense publique. Il est aussi admis qu’à court terme, l’effet multiplicateur et dépressif est plus fort qu’une augmentation des prélèvements obligatoires (partiellement compensés par une baisse de l’épargne) A moyen terme, ce serait le contraire, la baisse de l’impôt entrainerait un supplément d’initiative et d’investissement.
Un seuil à ne pas dépasser…
Ces rappels faits, de nombreux facteurs justifient une baisse progressive et durable de la dépense publique, « une inversion de la courbe » pour parler comme le président de la république. Il existe une raison structurelle. Au-delà d’un certain seuil, le système public collecte et dépense de plus en plus mal.
L’équité fiscale n’est plus respectée, le mauvais usage des fonds publics est patent et les redistributions se font à rebours. Ce seuil serait dépassé en France. C’est ce dont les Français sont convaincus, alertés fréquemment par une Cour des Comptes devenue beaucoup plus incisive, des Commissions Parlementaires, une presse et une société civile devenue plus curieuses. Ce qui était soupçonné est maintenant sur la place publique, sans que les dysfonctionnements soient nécessairement plus graves que dans le passé. L’idée s’est répandue que le marché ferait moins mal.
La dépense publique n’est plus à la mode
A ce facteur structurel, s’ajoutent l’environnement et la conjoncture. La dépense publique n’est plus de mode, ni à Bruxelles, ni dans la presse financière, ni chez les dirigeants d’entreprises, ni sur les marchés financiers. Le critère de la bonne gestion et de l’autorité d’un gouvernement est en cette période de libéralisme la capacité à réduire la dépense publique. Il faut le proclamer à cor et à cri.
Les plus doués sont les conservateurs britanniques qui s’en prennent d’autant plus fortement à la dépense publique que leur mise en œuvre est prudente: ils sont applaudis alors que leur déficit budgétaire rapporté au PIB est plus élevé que le français. Paris n’a pas fredonné la même chanson, alors que son appel aux marchés financiers continue de croître (nous serons le second emprunteur après l’Italie en 2014). Le calme actuel des marchés financiers est trompeur. De nouvelles perturbations interviendront, et la France, avec un taux d’endettement se rapprochant dangereusement de 100% du PIB, a perdu ses marges de manœuvre. Elle résisterait mal à une hausse durable et forte des taux de marché.
De l’incantation aux actes
Tant qu’on en reste à une approche globale, on est dans le « niaquà » et l’incantation. Le monstre, soit 57% du PIB, il faut commencer par en faire l’anatomie avant de lui imposer une cure d’amaigrissement. C’est plus compliqué que de dénoncer la Dépense Publique, en mettant dans le même sac toutes les dépenses quelles que soit leur nature
L’anatomie de la dépense publique
Les dépenses fiscales
– Ce terme recouvre les exonérations, abattements, taux réduits accordés en dérogation de la loi fiscale, appelées communément « niche fiscale ». L’on en décompte plus de 500…pour un montant de 52milliards selon l’inspection générale des finances (20011) Selon la même inspection, le niches jugées « peu efficientes »représentent 37,2 milliards d’euros. Suivons le rapport « une bonne base de discussion » selon le Ministre, et la moitié du problème posé serait résolue d’un point de vue quantitatif. Mais pas qualitatif car en dépit de la terminologie, cela serait ressenti plus comme une hausse d’impôts que comme une baisse de la dépense et relève de « la mise à plat fiscale », chère à notre Premier Ministre. De plus, chaque niche fiscale étant protégée par un chien qui aboie et montre ses crocs, le combat politique sera titanesque. Les tentatives du gouvernement dans les deux dernières lois de finances ont été peu productives. Au moins décidons qu’en l’absence d’une évaluation coût/avantage tous les trois ans, la niche est supprimée ;
Les dépenses de l’Etat
Contrairement à l’opinion commune, beaucoup a été fait et les comparaisons internationales ne font pas apparaître d’anomalie. En revanche, un redéploiement s’impose. Nous n’avons pas tiré toutes les conséquences de la révolution numérique et des simplifications qui doivent l’accompagner. Trop de fonctionnaires pour les tâches répétitives (aux Finances, par exemple, en dépit des efforts faits) pas assez de juges, d’instituteurs ou d’instituteurs et d’investissements. Ce n’est plus en « rabotant « la dépense que l’on parviendra à faire des économies substantielles. Il faut procéder à un examen par fonction en s’interrogeant sur la répartition des tâches entre public et privé et le mode de gestion adapté (administration centrale ou déconcentrée, agence, collectivité locale ou délégation) Un tel examen qui implique consultation et discussion demande du temps. Il va au-delà du calendrier de l’actuel Président de la République ;
Les dépenses des collectivités locales
Le débat s’ouvre dans la plus grande confusion. Il faut distinguer le souhaitable à moyen terme et le possible à court terme. Le souhaitable c’est la simplification et l’allègement du millefeuille, des départements fusionnés avec des métropoles ou transformés en établissements publics, des régions moins nombreuses, le renforcement de l’intercommunalité (suppression des doubles emplois avec les communes) Ne rêvons pas, il faut une décennie et une volonté politique sans faille. En 2014, une telle réforme ne peut se décréter par le haut, elle implique de débattre non seulement des principes mais des conditions de mise en œuvre et un calendrier. Les superbes hôtels administratifs qui agacent nos concitoyens ne vont pas disparaître d’un coup de baguette magique.
Le possible à court terme, c’est la clarification des compétences, la responsabilisation et la transparence ainsi que quelques regroupements. Il faut abolir la « clause de compétence générale « qui vient d’être réintroduite dans la loi sur les métropoles et qui permet à chaque collectivité locale de s’occuper de tout. Les citoyens doivent savoir qui est responsable d’aménagements coûteux et peu utiles. Avec les financements croisés qui associent communes ; communauté, départements, régions …et Etat, c’est pratiquement impossible. Qui est responsable au juste de l’aménagement du Mont Saint Michel ? Il faut que tous les décideurs importants (métropoles et communautés) soient élus au suffrage universel direct pour avoir des comptes à rendre aux électeurs. Il faut que l’Etat, pour des raisons budgétaires, cesse de faire faire par une collectivité ce qui relève de sa stricte compétence. Il faut que la loi permette aux collectivités qui le souhaitent d’opérer des rapprochements, même si l’on aboutit à une organisation administrative géographiquement différenciée ;
– Les dépenses sociales
il s’agit plus ici d’une fonction que d’un agent. Les comparaisons montrent que la part de nos dépenses dans le PIB est sensiblement supérieure à celle de nos voisins, de l’ordre de 5 points. Là aussi, il faut distinguer le structurel nécessaire mais pas immédiatement « rentable » et l’immédiat qui doit « rapporter » . Parmi le structurel, les fusions de régime et de caisses, les regroupements d’hôpitaux.
Quant à l’immédiat, une plus grande sélectivité des prestations dans le domaine de la santé est probablement inévitable. Par exemple, on ne peut continuer à faire payer nos rhumes par nos petits enfants. Le déficit chronique de l’assurance maladie, que l’on n’observe dans aucun pays développé, est intolérable, de l’ordre de 7 milliards d’euros en 2013. L’on n’évitera probablement pas de cesser de rembourser le « petit risque » Certes définir le « petit risque » et les tranches de revenus est affaire délicate.
Elaborer une stratégie
Redessiner le monstre ne relève pas d’une politique à la petite semaine. Il faut une stratégie reposant sur quelques règles simples qui ne peut être définie que par le Président et son gouvernement et soumise à l’approbation du Parlement sans immixtion à ce stade des partenaires sociaux :
– aucune dépense significative ne doit être exclue a priori. Par exemple, notre force de frappe fait partie du champ d’investigation (deuxième composante ?) Il en est de même pour les subventions versées au titre des 35 heures (plus de 30 milliards)
– une hiérarchie des postes de dépenses à examiner est à établir en fonction du poids financier, de la facilité de mise en œuvre et d’une exigence d’équité territoriale, sociale et intergénérationnelle. Il vaut mieux ne pas s’attaquer à ce qui est le plus difficile et rapporte peu ;
– le recours à l’évaluation doit être limité aux problèmes les plus difficiles, la procédure, qui doit être contradictoire, étant longue et complexe ;
– un calendrier doit être annoncé dès les prochains mois précisant les modes de consultation, en même temps qu’une première ventilation par agent (Etat, collectivités locales, Sécurité Sociale) et par fonction des économies à réaliser d’ici la fin du septennat ;
– une première esquisse de stratégie pourrait être fournie par le Commissaire àla Stratégie, Jean Pisani, qui doit sous peu remettre au gouvernement son rapport sur « La France dans dix ans »
– la conduite d’une telle stratégie ne peut être conduite que par un gouvernement resserré (15 à 20 membres) sous la conduite d’un homme nouveau (Pascal Lamy ?).
Sans une rupture avec les pratiques administratives, budgétaires et politiques des dernières décennies, François Hollande ne pourra mettre fin à notre addiction.
Pierre-Yves Cossé
Source Article from http://www.latribune.fr/opinions/tribunes/20140120trib000810530/depense-publique-passer-des-intentions-aux-actes.html
Source : Gros plan – Google Actualités
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