Lors de la dernière conférence de presse du président de la république, un sujet n’a sans doute pas retenu toute l’attention méritée : la transition énergétique. Éclipsée par l’annonce d’un « pacte de compétitivité », signant un soit-disant virage libéral, et la focalisation sur la révélation de sa liaison avec l’actrice Julie Gayet, ce sujet a été oublié des commentateurs.
Un hypothétique « Airbus de l’énergie »
Même la proposition d’un hypothétique « Airbus de l’énergie » reposant sur une politique de l’énergie franco-allemande – en attendant ce serpent de mer qu’est l’Europe de l’énergie – n’a pas eu l’impact médiatique que l’on pouvait espérer.
Pourtant, le sujet tient à cœur du chef de l’État. Il l’avait déjà évoqué comme un des chantiers prioritaires de son quinquennat lors ses vœux télévisés pour 2014. Cette transition énergétique était, pour lui, source de nombreux nouveaux emplois. Soit dit en passant, le thème était déjà au cœur du programme de Barak Obama… lors de sa première campagne présidentielle en 2008 qui promettait la création de 5 millions d’emplois!
La « transition énergétique », qui a son site gouvernemental, consiste à passer de la consommation d’énergies fossiles, non renouvelables et polluantes, à celle d’énergies renouvelables, moins productrices d’un carbone qui favorise le réchauffement climatique.
Mais en quoi la France est-elle réellement concernée, elle qui bénéficie d’un parc de centrales nucléaires qui lui assure, dit-on, une dépendance moindre aux énergies fossiles pour produire son énergie ? Trois livres publiés récemment abordent cet enjeu et tentent de répondre à cette question.
Un excellent rapport pour le chef de l’État
Le premier, « Transition énergétique, les vrais choix » (1), est écrit par les économistes et experts en énergie Jean-Marie Chevalier, Michel Cruciani et Patrice Geoffron. Il pourrait d’ailleurs faire un excellent rapport pour le chef de l’État. Dressant un état des lieux, les auteurs rappellent que la France bénéficie depuis longtemps d’une excellence en matière énergétique – notamment ses infrastructures -, qui concourt à attirer le plus grand nombre d’implantations industrielles, en Europe.
Ce statut est l’héritage d’une philosophie politique où, comme le disent joliment les auteurs, « la lumière est inspirée par l’esprit des Lumières », autrement dit par une « volonté d’inscrire l’accès universel à une énergie abordable dans le contrat social, en triomphant par la raison de toutes les défis techniques. » Depuis la Deuxième Guerre Mondiale, les différents gouvernements français ont en effet œuvré à la construction de barrages hydrauliques, de réseaux de lignes à haute tension pour l’acheminement de l’électricité sur l’ensemble du territoire, et, surtout, au développement d’une filière nucléaire parmi les plus importantes du monde.
« Sortir du conte de fées »
Mais aujourd’hui, selon Jean-Marie Chevalier et ses co-auteurs, « il est temps de sortir de ce conte de fées. » Pour plusieurs raisons. D’abord, le changement climatique est devenu une cause mondiale et nécessite de réduire les émissions de CO2 générées par la combustion des hydrocarbures.
Ensuite, plus prosaïquement mais redoutablement efficace, le renchérissement du prix du baril de pétrole – passé de 25 dollars à la fin des années 1990 à un cours oscillant autour de 100 dollars ces dernières années -, a complètement modifié la carte mondiale de l’énergie tant pour les producteurs que pour les consommateurs.
Ainsi, cette hausse du prix a favorisé les économies d’énergie et les innovations et rendu plus attrayantes les alternatives aux énergies non renouvelables. Mais elle a eu un autre effet collatéral, en rendant rentable l’exploitation de gaz de schiste et autres sables bitumineux. Une exploitation qui va rendre les États-Unis énergiquement indépendants, alors qu’en France pour des raisons environnementales, une telle exploitation reste interdite.
Des factures d’importation de pétrole et de gaz qui pèsent trois fois plus dans le PIB
Enfin, chaque économie, quelle que soit sa situation, voit sa croissance étroitement corrélée au prix de production de son énergie. Depuis la crise financière de 2008, l’Occident a pris conscience que son modèle issu de l’après-guerre étaient en bout de course. Comme le notent Jean-Marie Chevalier et ses co-auteurs: « La croissance française est des plus médiocres, alors même que ses factures d’importation de pétrole et de gaz pèsent trois fois plus dans le PIB qu’à la fin des années 1990. » Autant dire que son développement n’est plus durable sans réinventer un nouveau modèle.
En réponse, l’ouvrage pointe des pistes de travail pour s’engager sans détour dans cette « transition énergétique », non seulement parce que « dans une économie à l’industrie vacillante, disposer d’un secteur énergétique puissant est un atout essentiel pour notre compétitivité » mais aussi, cela pourrait déboucher selon eux sur la création de « centaines de milliers d’emplois nouveaux ».
Pour ce faire, ils préconisent de développer les moyens d’économie l’énergie plutôt que de se focaliser sur l’augmentation de l’offre. Cette recherche de l’efficience énergétique est un chantier énorme, tant le parc de logements a besoin d’être aménagé par exemple en matière d’isolation. Cela va nécessiter non seulement d’investir dans l’innovation technologique mais aussi de trouver des nouveaux moyens de financement alliant le public et le privé. Quant aux usagers, qui sont aussi des citoyens, les auteurs soulignent la nécessité d’inclure des procédures démocratiques, voire l’instauration « d’un nouveau contrat social ». Un manque de consultation qui a alimenté la polémique sur la constitution de la filière nucléaire en France à partir des années 1970, critiquée pour son fonctionnement opaque et centralisé.
Il y a un avant et un après Fukushima
Si l’atome paraissait opérer un retour en grâce au début des années 2000, l’accident de Fukushima au Japon, en mars 2011, a mis un coup d’arrêt à cette dynamique. Ainsi, à la suite de la catastrophe, l’Allemagne a décidé de ne plus construire de nouvelles centrales et de sortir du nucléaire dès 2022. De ce côté-ci du Rhin, les différents gouvernements n’entendent pas suivre cet exemple. Pourtant, si la sécurité reste le critère majeur pour la population, un autre critère défavorable au nucléaire s’est imposé, celui de son coût. En devenant une source d’énergie parmi d’autres sur le marché, le nucléaire a en effet perdu, du moins en France, son statut « régalien » qu’il avait acquis après le premier choc pétrolier pour assurer l’indépendance énergétique de la France.
Pour comprendre tous les éléments de ce débat, il faudra désormais compter avec l’ouvrage très documenté de François Lévêque « Nucléaire, On/Off » (2), qui fournit une analyse économique du nucléaire à l’échelle mondiale. Ce professeur d’économie à Mines ParisTech montre que l’établissement des vrais coûts de l’énergie nucléaire est biaisé car « ces coûts dépendent des opportunités des décideurs économiques, qu’ils soient publics ou privés. » Il n’est donc pas surprenant que le prix de la construction d’une nouvelle centrale est différent si le projet est situé en Finlande, en Chine ou aux États-Unis.
Le nucléaire s’inscrit toujours dans un cadre national
Mais le nucléaire a aussi la particularité par rapport à d’autres sources d’énergie d’être étroitement lié au cadre national, et ce à deux titres. D’abord, il relève d’un choix de l’État. « La volonté de puissance, la recherche d’indépendance énergétique, la poussée de la science et de la technologie et, plus récemment, la détermination de lutter contre le réchauffement climatique, se combinent » pour expliquer de recourir à une telle option. Ensuite, parce que le commerce de l’industrie nucléaire, qui a la particularité de subir une logique de coûts croissants, reste lié aux États, que ce soit à travers la protection de leur marché intérieur – « ils réservent leurs commandes à leur industrie nationale et privilégient la technologie autochtone » – ou à l’export, où les dirigeants d’État jouent un rôle clé pour la signature de contrats.
Si donc l’énergie issue de l’atome dans l’après-Fuskushima a un avenir, ses promoteurs doivent à tout prix éviter de trancher le débat dogmatiquement. Comme le suggère François Lévèque, il serait opportun de mettre en place des autorités de sureté nucléaire indépendantes dont l’action serait réellement transparente. Par ailleurs, la nécessité de passer d’un nucléaire national à un nucléaire « globalisé », ouvrant le marché de l’atome à l’ensemble des acteurs hors du cadre étatique, permettrait de développer un modèle plus adapté, par exemple sous la forme de centrales plus standardisées, plus modulaires, voire ayant une taille plus réduite.
L’énergie a une histoire étroitement liée à celle des sociétés
Que le nucléaire soit donc remis en cause, non pas pour sa disparition pure et simple mais pour son adaptation dans une nouvelle offre, vient nous rappeler que l’énergie a aussi une histoire. C’est celle-ci que racontent trois professeurs, Jean-Claude Debeir, Jean-Paul Deléage, Daniel Hémery, dans les quelque 600 pages de leur ouvrage sobrement intitulé « L’histoire de l’énergie » (3).
Premier constat, l’histoire de l’énergie est étroitement liée à celle des sociétés : de la préhistoire et l’antiquité en passant par l’Occident médiéval et l’Empire chinois jusqu’à la révolution industrielle initiée par le charbon et la machine à vapeur de Watt, les effets du premier choc pétrolier et la révolution nucléaire, la domestication de l’énergie et sa transformation ont entraîné de profonds changements dans l’organisation des sociétés.
Comme le disent les auteurs: « Structures essentielles du rapport de l’homme à la nature, les systèmes énergétiques constituent bien les fondements du développement des sociétés; situés à l’articulation du rapport – contraignant – de la nature à l’homme, ils assignent à ce développement ses limites. La notion de système énergétique qui exprime ce rapport contradictoire rend possible une analyse globale et comparative du devenir historique des groupes humains car elle rassemble les données matérielles de la production, de la reproduction et de l’accumulation. »
Des défis qui sont d’abord politiques et sociaux
Si ce détour historique et érudit montre avec solidité ce rapport, les auteurs en arrivent à s’interroger sur notre devenir. Mais à l’inverse de François Lévèque, ils délaissent l’analyse coût/bénéfices au profit d’une focalisation plus politique, car, à leurs yeux, le débat aujourd’hui « dépasse le cercle des spécialistes, car la mise en place de l' »alternative » énergétique ne relève pas de la seule technique. Les défis à relever sont moins scientifiques que politiques, moins technologiques que sociaux. »
Aussi appellent-ils de leurs vœux un socialisme mondial seul à même de pouvoir faire face au défi qu’impose la nouvelle donne énergétique. Pour notre part, nous voyons dans cette proposition une utopie qui suggère surtout que les problèmes posés par cette nécessaire transition énergétique sont redoutables à résoudre à l’échelle mondiale. On comprend pourquoi François Hollande ne rate plus aucune occasion de l’évoquer.
(1) « Transition énergétique, les vrais choix » par Jean-Marie Chevalier, Michel Cruciani et Patrice Geoffron, éditions Odile Jacob, 192 pages, 20,90 euros.
(2) « Nucléaire On/Off » par François Lévêque, éditions Dunod, 272 pages, 26 euros.
(3) « Une histoire de l’énergie » par Jean-Claude Debeir, Jean-Paul Deléage, Daniel Hémery, éditions Flammarion, 591 pages, 25 euros.
Source Article from http://www.latribune.fr/opinions/20140127trib000812055/la-transition-energetique-un-probleme-appele-a-durer.html
Source : Gros plan – Google Actualités
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