Né à Vannes, dans le Morbihan, le 3 juin 1922, le cinéaste Alain Resnais est mort samedi 1er mars à Paris « entouré de sa famille », a annoncé son producteur Jean-Louis Livi. Il avait 91 ans.
Sa longévité, son élégance, sa discrétion, son impeccable tignasse blanche arborée depuis si longtemps qu’on avait fini par oublier qu’il fût jamais jeune, tout cela faisait d’Alain Resnais une sorte de statue du commandeur du cinéma d’auteur français, aussi folâtre et expérimentateur fût-il en réalité. Car jeune, il l’a été indubitablement un jour, et sans doute devait-il sa science de la conservation au fait de l’être resté plus longtemps que tout autre.
Là-dessus flotte toujours un mystère. Le sentiment d’une jeunesse volée parce que fils unique, et asthmatique, de pharmacien catholique dans une ville de province ? L’imprégnation durable de l’éblouissement surréaliste et de sa glorification de l’enfance ? L’amour invétéré de la bande dessinée, du serial, du roman populaire ? Le fait d’avoir eu vingt ans sous l’Occupation ? Jeune donc, forever, et rapidement scandaleux, surprenant, comme on dit : moderne. Plus prompt à le devenir en tous cas, même si c’était d’un cheveu, que les Jeunes Turcs de la Nouvelle Vague, qui le toisent admiratifs depuis l’autre rive de la Seine.
C’est bien la même génération : tous ont connu la seconde guerre mondiale, tous en sont sortis avec le désir de renouveler le cinéma, sinon le monde. Dans le match qui ne fut jamais réellement disputé entre rive gauche (Alain Resnais, Chris Marker, Agnès Varda…) et rive droite (la bande des Cahiers du cinéma : Jean-Luc Godard, François Truffaut, Jacques Rivette, Claude Chabrol, Eric Rohmer…) de la révolution cinématographique en marche, les premiers penchent de fait à gauche, et les seconds à droite, mais même cela ne tarde pas à bouger.
RESNAIS ET LA SCIENCE DU MONTAGE
Ce qui est plus assuré, c’est que les premiers sont des champions, reconnus pour tels, du montage. Qui dit montage dit coupe, taille, façonnage de la réalité, cinéma d’intervention, d’idées, de concept. Et c’est bien d’un art virtuose du montage, subtil et percutant, que procèdent les premiers coups d’éclat d’Alain Resnais à travers ses courts-métrages documentaires. Il y met à profit les cours de l’Idhec, école de cinéma créée par le gouvernement de Vichy où, à 21 ans, on le compte en 1943 parmi les élèves de la section montage. L’Histoire est friande de ces télescopages. Car la science du montage de Resnais, en même temps que dans la matière filmique, coupe et raccorde dans l’Histoire, autrement dit y prend un parti.
Et ce parti est pour le moins incisif. Guernica (1950), montage-choc autour du lamento antifasciste de Pablo Picasso. Les statues meurent aussi (1953), censuré jusqu’en 1964, charge insolente contre le colonialisme culturel avec les mots ciselés de Chris Marker, sous le regard anguleux, démultiplié et ténébreux de sculptures africaines. Le Chant du styrène (1958), ode ambiguë à la matière plastique de chez Pechiney, rythmée par des explosions de couleurs en scope, et enlevée sur des alexandrins pince-sans-rire signés Raymond Queneau (« O temps, suspend ton bol… »).
« NUIT ET BROUILLARD »
Cette veine du montage souverain aura culminé dès 1956 avec Nuit et brouillard. A l’origine, il s’agit d’un film de commande du Comité d’histoire de la seconde guerre mondiale, qui propose un montage d’archives d’une trentaine de minutes destiné à célébrer le dixième anniversaire de la libération des camps nazis. A l’arrivée, Nuit et brouillard est un film terrassant qui s’inscrit en lettres de feu dans la double histoire du cinéma et de la mémoire de la barbarie nazie.
Le noir et blanc des atrocités d’hier ne cesse d’y inquiéter la couleur d’un paysage d’aujourd’hui, apaisé. Sur cet effet de montage saisissant, qui fait de la barbarie une présence désormais installée dans la chair du monde, le texte de Jean Cayrol revient en contrepoint : « Même un paysage tranquille, même une prairie avec des vols de corbeau, des moissons et des feux d’herbe, même une route où passent des voitures, des paysans, des couples, même un village de vacances, avec une foire et un clocher, peuvent conduire tout simplement à un camp de concentration. »
On doit ce chef-d’œuvre à Resnais, qui le réalise, évidemment, mais encore à Anatole Dauman, qui le produit, à Cayrol, ancien déporté qui en écrit le commentaire, à Chris Marker, qui le retouche en sous-main, à Michel Bouquet, qui le fait entendre et ne veut pas que son nom apparaisse au générique en hommage à la mémoire des déportés, à Hanns Eisler, collaborateur de Brecht, qui en compose la musique.
Ce film qui prend rendez-vous avec la postérité est aussi de son époque. En l’état de la recherche historique et de la construction mémorielle au mitan des années 1950, la conscience de la spécificité du génocide juif ne s’y impose pas (il faudra attendre pour cela le Shoah de Claude Lanzmann en 1985).
LA SILHOUETTE DU GENDARME FRANÇAIS
La question revient donc par la bande, pour nourrir un scandale. Une des images du film montre en effet une photographie du camp d’internement de Pithiviers, où l’Etat français parque les Juifs dans l’attente de leur déportation par les nazis. Sur cette image, au premier plan, la silhouette d’un gendarme français dans un poste de guet. La commission de contrôle exige aussitôt la suppression du plan. Echaudé par l’expérience des Statues meurent aussi, Resnais, soutenu par son producteur, réclame d’abord une demande écrite, puis maintient la photographie en barrant d’un bandeau noir la silhouette de la honte, rendant ainsi visible l’occultation de la collaboration. Le film sera vu ainsi jusqu’en 1997.
Ce n’est pas le seul déshonneur infligé par l’Etat français à ce chef-d’œuvre. Comme le veut la tradition à l’époque, la commission de sélection des films français au Festival de Cannes soumet ses choix au secrétaire d’Etat à l’industrie et au commerce. Nuit et brouillard fait alors partie de la compétition. Mais le titulaire de la fonction, qui se nomme pour la petite histoire Maurice Lemaire, met son veto sur ce seul film. Les associations de déportés, qui le soutiennent en revanche, créent un tel scandale que le gouvernement accepte le compromis d’une présence du film à Cannes, mais hors compétition.
Qu’importe, Nuit et brouillard, montré à des générations de lycéens français, et bien au-delà de la France d’ailleurs, fera l’effet à beaucoup de ses spectateurs d’un choc fondateur. Ainsi du critique Serge Daney, qui l’écrit magnifiquement dans un texte devenu lui aussi célèbre (« Le travelling de Kapo » paru dans la revue Trafic en 1992) : « Resnais fut pour moi un passeur de plus. S’il révolutionnait comme on disait alors le “langage cinématographique”, c’est qu’il se contentait de prendre son sujet au sérieux et qu’il avait eu l’intuition, presque la chance, de reconnaître ce sujet au milieu de tous les autres : rien de moins que l’espèce humaine telle qu’elle était sortie des camps nazis et du trauma atomique : abîmée et défigurée. »
« HIROSHIMA MON AMOUR »
Quant au malheureux Alain Resnais, il n’en a pas fini avec la malédiction cannoise, qui le poursuivra peu ou prou toute sa vie. Son premier long-métrage, Hiroshima mon amour (1959), rien de moins, y est ainsi mis hors compétition par les arbitres des élégances de l’époque, à rebours du jeune François Truffaut qui y concourt avec Les Quatre Cents Coups, après avoir copieusement insulté l’institution l’année précédente. Allez comprendre. Il faut croire que les raisons en sont diplomatiques. Cannes est aussi à cette époque une machine destinée à maintenir la guerre froide. Il s’agit aujourd’hui de n’y pas choquer les Etats-Unis, comme hier l’Allemagne (Nuit et brouillard), comme demain l’Espagne (La guerre est finie).
Le plus politique des cinéastes français avec Godard – du moins à cette époque – en fait logiquement les frais. Hiroshima mon amour, sur un scénario et des dialogues de Marguerite Duras, raconte l’histoire d’une actrice qui vient tourner dans la ville un film pour la paix, et y rencontre un architecte japonais avec lequel elle a une liaison. Il lui parle de la tragédie collective causée par la bombe d’Hiroshima, elle lui répond par l’infamie publique de Nevers, tondue parce qu’elle aima un soldat allemand. Emanuelle Riva et Eiji Okada interprètent ce film inoubliable, dont l’apport à l’art cinématographique est impressionnant : diffusion du passé dans le présent, discontinuité narrative, bande sonore obsédante, transvasement réciproque du réel et de l’imaginaire, flux de conscience.
RESNAIS ET LA GUERRE D’ALGÉRIE
Deux ans plus tard, après avoir entre-temps signé le manifeste des 121 (qui réclamait le droit à l’insoumission pour la guerre d’Algérie), Resnais double la mise avec L’Année dernière à Marienbad (1961), film écrit avec le chantre du nouveau roman Alain Robe-Grillet. Le fond politique est cette fois mis de côté, en faveur d’une étrange séance d’incubation filmée entre un studio parisien et un jardin bavarois. Un homme tente d’y convaincre une femme (la débutante Delphine Seyrig) qui ne le croit pas qu’ils se sont aimés sur ces lieux, l’année précédente. Motif obsessionnel, qui se joue dans un palace baroque devenu projection labyrinthique d’un univers mental situé comme hors du temps. Mais de même que le film, curieusement, n’est pas tourné à Marienbad, le nom allemand de cette ville d’eau tchèque est-il alors caduc. Plus propice à Resnais que Cannes, la Mostra de Venise décerne le Lion d’or à cette œuvre mystérieuse et provocatrice.
Ceux qui reprochaient (déjà) à Resnais de s’être coupé de son époque en sont pour leurs frais : en 1963, Muriel et le temps d’un retour aborde, notamment, les zones brûlantes de la torture en Algérie. On y retrouve Delphine Seyrig en veuve recroquevillée sur elle-même, faisant profession d’antiquaire à domicile à Boulogne-sur-Mer. Un huis clos trouble la met en présence de son beau-fils qui revient de la sale guerre d’Algérie durablement traumatisé, d’un vieil amour de jeunesse fuyant et affabulateur et d’une jeune actrice qu’il veut faire passer pour sa nièce.
Valse amère des souvenirs, mensonges, remords, malentendus, incompréhensions : de l’Occupation à la guerre coloniale, tout un passé qui ne passe pas taraude cette petite bourgeoisie tétanisée qui habite une ville elle-même en proie aux stigmates du passé. Un film immense, d’une cruauté inexorable. En 1966, Resnais poursuit sa traversée de l’histoire contemporaine avec La guerre est finie.
Scénarisé par Jorge Semprun qui, deux ans auparavant, s’est fait exclure du Parti communiste espagnol clandestin et s’inspire de son expérience personnelle, le film est interprété par Yves Montand. Les deux hommes seront trois ans plus tard au service du célébrissime Z de Costa Gavras. Montand interprète un rôle ici plus complexe, non pas tant de pure victime que de militant communiste assailli par un ennemi plus grand encore que le fascisme : le doute. Le film saisit aussi bien, durant trois jours déterminants de son existence, la prise de conscience de Diego, agent clandestin pris entre deux pays, mais aussi bien deux femmes (la marmoréenne suédoise Ingrid Thulin, échappée des macérations bergmaniennes, et la piquante débutante canadienne Geneviève Bujold), deux identités, deux vies. De nouveau, c’est la panade cannoise, le film étant cette fois retiré de la compétition après intervention officielle de l’Espagne.
DÉSENGAGEMENT DES QUESTIONS POLITIQUES
Il est plus singulier de constater qu’à rebours des trois films précédents, La guerre est finie semble être quasiment effacé de la mémoire collective. On y voit un sens. Ce film marque, en vérité, un imperceptible infléchissement dans le cinéma de Resnais, qui aboutira bientôt à une mutation visible : son désengagement des questions politiques au profit d’une exploration de l’intimité. Bien sûr, Resnais n’a jamais conçu son cinéma comme militant. La question politique, l’attention portée aux violences de l’Histoire auront toujours été, dans son œuvre, indissociables d’une préoccupation plus générale sur l’imaginaire, la mémoire et le temps, comme facteurs constitutifs d’une insaisissable et fragile identité.
Il n’en reste pas moins qu’un changement de cap va marquer sa carrière, au point que, dans le public comme dans la critique, deux réactions antagonistes accueilleront cette inflexion. La déception, au titre d’une démission qui frapperait désormais de vanité son goût de l’expérimentation formelle. Ou la fidélité à l’ingénierie stylistique qu’il continuera de déployer, avec brio, de film en film. En tout état de cause, il faut se satisfaire de ce paradoxe : c’est à l’approche de mai 1968, alors que culmine l’engagement idéologique, qu’Alain Resnais abandonne ses prérogatives de cinéaste concerné par les grands enjeux de son époque. Un personnage qu’il nomme Claude Ridder lui sert d’instrument dans cette opération, en deux temps.
Le premier est la participation de Resnais, en 1967, à un film collectif et militant intitulé Loin du Vietnam. Bernard Fresson interprète, dans ce court-métrage tourné en un certain sens contre la dimension militante du film, un romancier, intellectuel de gauche, qui se met à douter sévèrement de ses convictions et de son engagement. Comme geste engagé, on a fait mieux.
Le second est le long-métrage Je t’aime je t’aime (1968) dans lequel Claude Rich endosse à son tour le patronyme liquidateur. Il y incarne le survivant d’une tentative de suicide qui se laisse persuader par des scientifiques de voyager dans son passé pour y découvrir les raisons de son mal-être. L’expérience tourne mal et Ridder, installé dans une sorte de vulve géante, s’anéantit dans les souvenirs détraqués d’une vie sans qualité, marquée par le fantôme d’une femme défunte. Hommage à La Jetée de son ami Chris Marker, écrit par Jacques Sternberg, cet étrange et séduisant récit de science-fiction – faut-il le préciser ? – ne passera jamais à Cannes où il est pourtant le premier film de Resnais accepté en compétition. Manque de chance, cette fois c’est le festival qui s’arrête pour cause de révolution en marche. Ironie du sort, Je t’aime, je t’aime inaugure pourtant ce moment important de l’œuvre de Resnais où le personnage passe du statut de sujet de l’Histoire à celui de sujet d’expérience.
OBSESSION DE LA MORT
Suite à l’échec public du film et à une série de déconvenues aux Etats-Unis, c’est la rencontre avec le célèbre agent Gérard Lebovici qui permet à Resnais de se relancer selon ce nouveau paradigme. Si le cinéaste ne s’est jamais vraiment expliqué là-dessus, il faut croire que quelque chose s’est produit en lui à cette époque qui l’incline à ce raisonnement : à quoi bon chercher la résolution collective des maux humains dès lors que l’individu ne s’appartient pas, étant pour lui-même un insondable et douloureux mystère ?
Ce n’est donc plus à l’Histoire comme mouvement collectif que se confronte désormais le romanesque chez Alain Resnais. C’est aux affabulations d’un escroc mondain (Stavisky, 1973), à l’inconscient déchaîné d’un vieil écrivain malade (Providence, 1977), aux théories neurophysiologiques du professeur Laborit sur le comportement humain (Mon oncle d’Amérique, 1980), à l’utopie enfantine incessamment trahie par les adultes (La vie est un roman, 1983), à l’amour tel qu’il ne peut que rejoindre la mort (L’Amour à mort, 1984). Deux mouvements caractérisent ces films. Une descente de plus en plus marquée dans les profondeurs (pulsion sexuelle, assouvissement du désir, instincts de domination, lutte pour la survie) qui ravalent l’homme à sa nature animale. Et la montée concomitante d’une obsession de la mort, de la maladie, du suicide.
Sombre période, pleine d’angoisse et de pessimisme, de laquelle Resnais finit par sortir en entrant en théâtre, en y trouvant plus exactement une inspiration qui se substitue à la longue fréquentation des écrivains qui aura marqué le début de sa carrière. Ce recours au théâtre semble devoir porter un coup d’arrêt à l’inquiétude dévorante qui a fini par s’emparer du réalisateur devant le malheur persistant de l’homme et la faillite des systèmes censés le prévenir.
AZÉMA, ARDITI, DUSSOLIER : LA TROUPE FIDÈLE
Le théâtre, du moins, apporte-t-il la sûreté d’une convention, la séduction d’un simulacre, l’intelligence d’un artifice. L’hypothèse, aussi, d’une joie enfantine, d’un plaisir partagé, d’un jeu possiblement infini. Alain Resnais va s’y claquemurer, y réunir une petite troupe fidèle (Sabine Azéma, Pierre Arditi, André Dussolier, Fanny Ardant, Lambert Wilson…) et tenter, de décor en décor, d’y réenchanter le monde. Son nouveau credo pourrait tenir dans cette formule : « Je hais le soleil, c’est un projecteur qu’on ne peut pas déplacer. »
Ce cycle, qui domine toute la fin de la carrière du cinéaste, commence en 1986 avec Mélo, une pièce adaptée d’Henri Bernstein, boulevardier poussiéreux et cible des ligues antisémites dans l’entre-deux-guerres. Cette impertinence contre-culturelle et anachronique permet à Resnais d’organiser autour du triangle classique (mari-femme-amant incarnés par le trio canonique Arditi-Azéma-Dussolier) une sorte de vaudeville, soit un mouvement qui verse insensiblement de la gaudriole à la tragédie.
Deux titres suivront, grâce auxquels l’image de Resnais est comme réimplantée dans le code génétique du public de cinéma français, celle d’un vieux monsieur pas si grave qu’il en a toujours eu l’air, grand fantaisiste caché sous un imperméable taupe. Il s’agit, bien sûr, de Smoking/No smoking (1993) et On connaît la chanson (1997). Le premier est un exercice virtuose, adapté de l’auteur dramatique anglais Alan Ayckbourn. Il met en scène Sabine Azéma et Pierre Arditi dans dix rôles différents et deux films divergents, dont les prémisses respectives tiennent à la décision d’un personnage d’arrêter ou de continuer de fumer.
« ON CONNAÎT LA CHANSON », PLUS GROS SUCCÈS DE RESNAIS
Anglophile, maniaque, facétieux, vertigineux, Smoking/No smoking est l’art de la combinaison poussé à sa meilleure extrémité. On connaît la chanson, scénarisé, dialogué et interprété par Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri, qui avaient déjà adapté le précédent, est une fantaisie sentimentale dépressive et néanmoins chantée qui met dans la bouche des acteurs des tirades de chansons populaires en version originale. C’est le plus gros succès d’Alain Resnais, avec 2 600 000 entrées.
Une part de malentendu l’entoure, l’allant des ritournelles grisant les spectateurs et les empêchant de voir le vide fantomatique qu’elles comblent chez les personnages. Car on ne se refait pas. Mise provisoirement entre parenthèses entre les planches du théâtre, la mort revient à grands pas y rejoindre le cinéaste.
Le philosophe Gilles Deleuze l’avait fort bien vu : « Resnais n’a qu’un sujet : l’homme qui revient de la mort. » La plupart de ses films, en effet, envisagent la refondation d’un monde après le désastre. Ce que n’eut pas le temps, hélas, d’observer Deleuze, c’est qu’à quatre-vingts ans, l’hypothèse d’en revenir devient très improbable. Resnais fait donc de cette perspective ce qu’il sait le mieux faire : en jouer.
Organiser, en un mot, sa sortie pour mieux la conjurer. Chorégraphier un ballet d’ectoplasmes belle époque (Pas sur la bouche, 2003), éteindre les désirs sous un tapis de neige (Cœurs, 2006), s’envoler au pays de l’enfance éternelle (Les Herbes folles, 2009), convier à sa propre veillée funèbre ses acteurs préférés sous l’invocation de Jean Anouilh (Vous n’avez encore rien vu, 2012), puis bisser le coup en revenant à ce cher Alan Ayckbourn (Aimer, boire et chanter, 2014).
Ainsi, jusqu’à son dernier souffle, ce cinéaste né dans un siècle de cendres aura cultivé, tel le Phénix, l’art d’en renaître.
Source Article from http://www.lemonde.fr/culture/article/2014/03/02/le-cineaste-alain-resnais-est-mort_4376229_3246.html
Source : Gros plan – Google Actualités
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