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Les hauts et les bas de la fashion week japonaise – Blog Le Monde (Blog)

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Par Susanna Lau 23 octobre 2013

TOKYO — Le mois dernier, pendant la fashion week japonaise, quelques faiseurs d’opinion, dont moi, avons rencontré des représentants du ministère de l’économie, du commerce et de l’industrie de Tokyo. Nous avons eu droit à une présentation très didactique de l’initiative “Cool Japan.” Un flot de chiffres et de diagrammes pour nous expliquer que l’état japonais et le secteur privé allaient investir 50 milliards de yens (plus de 37 millions d’euros) sur vingt ans pour promouvoir la culture japonaise à l’étranger.
Nul besoin de cette abondance de diagrammes pour nous expliquer que le Japon est cool. Tokyo peut  sans souci revendiquer le titre de cinquième capitale de la mode, après New York, Londres, Paris et Milan. Et pas seulement grâce à la très influente vague de créateurs où Rei Kawakubo et Yohji Yamamoto jouent un grand rôle, mais aussi parce que peu de villes dans le monde propose un street style qui suscite autant l’inspiration.

Alors pourquoi les designers japonais, en dehors de quelques noms comme Sacai, Toga ou Comme des Garçons, restent-ils inconnus du restant du monde ? Si vous n’êtes pas un visiteur averti, vous ne trouverez jamais les scènes les plus vibrantes de la mode japonaise, cachées dans les recoins de quartiers de Tokyo comme Harajuku, Shibuya et Aoyama ou dans des zones plus branchées telles que Koenji et Shimokitazawa.

Pendant la fashion week Mercedes-Benz de Tokyo, je me demandais pourquoi la planète mode de ce pays était si morcelée, et pourquoi il était si difficile pour la presse et les acheteurs internationaux d’y pénétrer. En dehors bien sûr de la barrière de la langue.
La vérité, c’est que cette Japan fashion week a son propre agenda, et les créateurs doivent soit s’y conformer, soit se débrouiller tous seuls, d’où une programmation aussi tardive qu’éparpillée. “L’agenda de la fashion week est très serré, et il y a un tout un monde de créativité qui sépare la manifestation officielle et les défilés off” explique Takura Ogasawara, journaliste au très estimé Senken. “Certaines créations exposées en off sont beaucoup plus intéressantes que celles de la JFW. Mais le plus gros problème, c’est que la JFW ne s’est jamais transformée en outil commercial, contrairement à ce qui se passe en Europe. Les acheteurs ne s’y déplacent pas en masse, et nombre de créateurs n’y voient pas grand intérêt.”

Jesse Hudnutt de Opening Ceremony est d’accord. “La JFW ne nous apporte rien. Nous nous servons des blogs et des Tumblrs; nous écoutons nos amis. Nous trouvons les marques que nous aimons par le bouche-à-oreille.” Le bouche-à-oreille me sert aussi d’outil de navigation pour ne rien rater d’important à Tokyo, Des marques comme Anrealage et Mint Designs, qui nous ont offert les défilés les plus performants de la semaine, ont quitté cette saison la JFW officielle, pour se produire à part. Il a fallu que je me cogne littéralement dans un fan de mode dans la rue qui m’a saluée en m’appelant “Style Bubble- san”, pour découvrir Shibuya Parco, où les créateurs Mikio Sakabe et Yoshikazu Yamagata organisaient de petits défilés.

Et puis, il y a tous ces showrooms, où le prêt-à-porter le plus important comme Phenomenon ou The Soloist (de Takahiro Miyashita, ex de Number (N)ine), présentaient leurs collections tranquillement et sans prétention.

Même un événement plus populaire comme le Shibuya Fashion Festival, où l’on a pu voir le défilé de la toute jeune et passionnante Jenny Fax, ne fait pas partie de la JFW officielle. Pour avoir un véritable aperçu de la scène japonaise, il faut demander autour de vous, faire vos propres recherches et se rendre dans des boutiques-clés comme Candy dans le quartier de Shibuya. Une scène japonaises qui ne manque pas de grandes marques avec l’étoffe nécessaire pour jouer un rôle sur le marché mondial.

De grands labels tels que Yoshio Kubo et Facetasm viennent tout de même au Shibuya Hikarie, le building où se déroule la JFW. Mais il y a peu d’événements officiels. Akiko Shinoda, chargée des relations internationales pour la JFW, reconnaît que tout est trop   morcelé, et elle en impute la faute à la faiblesse du soutien gouvernemental, principal frein d’après elle à la participation des créateurs. “Au Japon, le gouvernement change tous les 18 mois. Nous passons des semaines à essayer de convaincre les bureaucrates que la mode est importante. Et une fois que nous y sommes parvenus, ils sont remplacés, et il faut tout recommencer.” Elle souligne que d’autres pays en Asie : la Corée, l’Indonésie, Singapour, investissent lourdement dans la mode. Alors que le Japon commence seulement à réaliser le potentiel de ce secteur, malgré les remarquables talents et l’héritage dont il peut se targuer.

D’autres, comme Yoshiko Edstrom, directeur des ventes et des relations publiques pour Edstrom Office, sont plus pessimistes.  “Le gouvernement dispose du budget nécessaire, mais il ne comprend pas que la mode japonaise peut avoir un effet bénéfique sur toute l’économie. Nous avons d’excellents créateurs, de Comme des Garçons aux labels les plus récents. Mais la marque Comme des Garçons s’est toujours débrouillée seule, et le gouvernement ne comprend toujours pas ce qu’elle fabrique.”

Alors, une entreprise comme Uniqlo pourrait-elle agir comme Topshop avec le British Fashion Council à Londres afin d’apporter appui et cohésion à la mode japonaise ? Akiko Shinoda assure qu’ils vont tout faire pour.

Une chose est sûre, ce n’est pas l’envie qui manque de la part des acheteurs internationaux pour découvrir et amener les talents japonais sur le marché mondial, malgré les défis logistiques que cela implique. Jesse Hudnutt explique : “nous nous efforçons de dénicher des choses nouvelles. Je pense que le jeune consommateur urbain est fasciné par le style japonais, sans compter que nos textiles sont uniques.”

Bref, tout comme pour Londres, la route pour faire de Tokyo une capitale mondiale de la mode peut être très longue. Disposer des talents nécessaires est une chose, mais les canaliser et les présenter correctement au reste de la planète en est une autre. “Nous avons tout simplement besoin de plus d’investissements” explique Jesse Hudnutt.

Takura Ogasawara , le journaliste, espère bien que Tokyo suivra le même chemin que Londres : “la JFW doit attirer plus d’acheteurs et de média. Je me souviens que ce sont les premiers défilés de Christopher Kane qui ont attiré l’attention sur la fashion week anglaise. J’espère que Tokyo aussi deviendra un incubateur pour les jeunes talents.”

De nouvelles initiatives pour porter les créateurs japonais sur la scène mondiale sont déjà en cours : certains participent à la fashion week de Jakarta. Il faudra observer la façon dont les fonds de “Cool Japan” seront dépensés durant les prochaines années, intelligemment, on l’espère, avec par exemple un programme de défilés qui amènerait les designers à New York ou Paris. Si la JFW peut leur fournir une véritable plate-forme internationale, alors les meilleurs d’entre eux seront plus enclins à présenter un front uni et très certainement provoquer l’enthousiasme du reste du monde.

Voici une galerie de quelques-uns des créateurs qui ont retenu mon attention à Tokyo :
Anrealage

D.R.

Kunihiko Morinaga lance sa propre marque en 2003 et s’est lentement mais sûrement bâti une solide réputation grâce à une mode aussi conceptuelle qu’époustouflante, qui pourrait très bien  le mener jusqu’à Paris. “Size”, sa collection printemps-été 2014, présentait des robes évasées magiques  contrôlées par des câbles mécaniques. Un tribut à Hussein Chalayan, mais qui d’autres pourrait transformer ce concept original en réalité palpable ?

99%Is


Le créateur Bajowoo est peut-être coréen, mais il a fait de Tokyo son champ d’action en y ouvrant 99%Is l’an passé. Il a déjà capté toute l’attention de Dover Street après sa collaboration avec Mackintosh. Sa collection monochrome printemps-été 2014 toute cuir et métal a parlé directement au cœur des jeunes fans de mode de Tokyo.

Akira Naka

Je me souvenais du brillant défilé qu’avait conçu Naka pour son diplôme à la Royal Academy of Fine Arts d’Anvers. C’était donc bon de revoir les créations de ce designer spécialisé dans les lainages, diffusées par United Arrows et Isetan. Naka a appris à commercialiser ses techniques très spécialisées, en se servant du savoir-faire japonais.

Balmung

Balmung Hachi a commencé sa carrière en fabriquant des articles très originaux pour de petites boutiques, et il continue à travailler selon un rythme bien à lui, puisque sa collection printemps-été 2014 ne sera pas prête avant le mois de décembre. Il y a quelque chose de viscéral et de brut dans ses créations, adorées par certaines icônes de Tokyo comme Mademoiselle Yulia.

Blackmeans

Ce collectif, formé par Yujiro Komatsu, Takatomo Ariga, Masatomo Ariga et Tomoko Moriya, crée d’incroyables vêtements en cuir, inspirés par leurs racines japonaises mais aussi par la culture ethnique. Humberto Leon de Opening Ceremony est un grand fan de cette marque.

Phenomenon

La marque de prêt-à-porter masculin de Takeshi Osumi, plus connu sous le nom de Big-O, est citée par tout le monde comme la favorite des favorites. Depuis qu’il a lancé sa ligne de vêtements pour femmes et soigneusement évité les défilés, Osumi s’est concentré sur la commercialisation de son label. Avec les bons appuis en Europe, Phenomenon a atteint le stade où Paris pourrait être intéressé.

D.TT.K

Kazuma Detto dirige un collectif qui s’exprime depuis l’an dernier par la création de vêtements inspirés par un esthétisme qualifié de “Néo Sportif”, et diffusé dans des boutiques comme GR8 dans La Foret ou Candy dans Shibuya.

Writtenafterwards/Mikio Sakabe Designers

Mikio Sakabe et Yoshikazu Yamagata de la marque Writtenafterwards représentent un  aspect différent de la scène de la mode à Tokyo, qui colle plus à nos propres clichés sur le conceptualisme japonais. Ils évitent les obligations commerciales et préfèrent s’inspirer de la créativité de Coconogacco, leur école de mode alternative.  Leurs propres collections et celles de leurs étudiants démontrent le potentiel des jeunes japonais.

Jenny Fax

Shueh Jen-Fang, née à Taïwan, crée sa marque Jenny Fax en 2010, et sort des collections marquées par le culte de sa propre enfance et par des références culturelles. Pour son défilé printemps-été 2014, organisé dans un skate-park pendant le Shibuya Fashion Festival, elle s’est aventurée dans des contrées beaucoup plus sombres que d’habitude. Elle a laissé de côté son style Kawaii (1) de prédilection pour lui préférer l’atmosphère plus glauque des films d’horreur chinois des années 90.

Mame

Maiko Kurogouchi s’est servie de son surnom (qui veut dire haricot) pour nommer sa marque. Ses incroyables accessoires en plastique ont déjà séduit Joyce et Opening Ceremony, mais elle fait également son chemin grâce à de magnifiques vêtements artisanaux. Ce sont les gestes traditionnels de sa grand-mère qui ont inspiré sa dernière collection.

Facetasm

Hiromichi Ochiai, l’as des textiles, lance sa marque en 2007, et c’est l’un des rares labels unisexes à s’être produit pendant la Fashion Week de Tokyo. Tout comme Phenomenon, Facetasm mêle les vêtements de travail, le streetwear et la haute couture pour créer un mix totalement unique sur le podium, alliant robustes tabliers et plis en ruché.

Sasquatchfabrix/EOTOTO

De nombreuses marques pour hommes à Tokyo mériteraient d’être citées, mais SASQUATCHFabrix et son label frère EOTOTO attirent les regards concupiscents des stockistes internationaux. Le concept : “du vandalisme de haut niveau, avec une touche de fraîcheur.” Ce qui se traduit par un prêt-à-porter extrêmement nuancé, aux influences mondiales, mais jamais maladroit.

(1) Adjectif japonais signifiant mignon ou adorable, caractéristique des dessins animés avec ces personnages aux yeux immenses.

Source Article from http://businessoffashion.blog.lemonde.fr/2013/11/15/les-hauts-et-les-bas-de-la-fashion-week-japonaise/
Source : Gros plan – Google Actualités

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