C’est un document important. Voici ce que pense du comportement de Philippe Courroye l’un des plus hauts magistrats de France, Christian Raysséguier, 66 ans, premier avocat général à la Cour de cassation – c’est-à-dire pour les procureurs, le second dans l’ordre hiérarchique du parquet – membre du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) et représentant du ministère public à la Cour de justice de la République.
Christian Raysséguier a été chargé le 17 juillet 2012 du rapport de la formation disciplinaire du parquet du CSM, après la plainte déposée par Le Monde dans l’affaire des fadettes, pour défendre le droit au secret des sources des journalistes. Il a longuement instruit le dossier, entendu tous les protagonistes, dont Philippe Courroye, qui a eu, avec ses avocats, accès au dossier ; et le haut magistrat a rédigé un minutieux et long rapport, lu en audience publique le 14 novembre 2013.
C’est un document important parce qu’il résume de façon parfaitement objective toute l’affaire, expose les règles de droit, rappelle la jurisprudence, soupèse les arguments des uns et des autres, et finalement délivre un avis. Tant Le Monde que l’ancien procureur de Nanterre peuvent être en désaccord sur tel ou tel point : Philippe Courroye a pu s’en expliquer à l’audience, pas le journal qui n’est pas « partie » à l’audience disciplinaire et n’entend pas le faire ici.
Le bâtonnier Francis Teitgen, avocat avec Me Jean-Yves Dupeux de M. Courroye, s’est scandalisé à l’audience de « la campagne » du Monde contre son client, l’ancien procureur avait lui-même estimé faire l’objet d’un « lynchage ». La direction des services judiciaires a eu, à l’audience, des mots sévères pour le magistrat mis en cause.Chacun pourra, à la lecture de ce (très) long rapport, se faire sa propre idée. Philippe Courroye a-t-il trahi les devoirs de sa charge ? Le CSM rendra sa décision le 17 décembre.
Documents
– La plainte du Monde à l’origine de la saisine du CSM.
– Le compte rendu du premier jour d’audience au CSM, par Pascale Robert-Diard.
– Le deuxième jour, avec l’analyse du directeur des services judiciaires, Jean-François Beynel.
– Les éléments en italique, notamment les intertitres, sont de la rédaction.
Formation disciplinaire compétente pour les magistrats du parquet
Rapport de M. Christian Raysséguier, premier avocat général à la Cour de cassation, membre du Conseil supérieur de la magistrature
Procédure disciplinaire suivie contre M. Philippe Courroye, procureur de la République près le tribunal de grande instance de Nanterre
Par décision en date du 10 juillet 2012, la commission d’admission des requêtes du Conseil supérieur de la magistrature, compétente à l’égard des magistrats du parquet, saisie d’une plainte formulée par MM. Gérard Davet et Jacques Follorou, et par la société éditrice du journal Le Monde SA, visant pour des faits susceptibles de recevoir une qualification disciplinaire M. Philippe Courroye, procureur de la République près le tribunal de grande instance de Nanterre, a renvoyé l’examen de ladite plainte à la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente pour la discipline des magistrats du parquet.
M. Le procureur général près la Cour de cassation, président de la formation, a désigné par arrêté du 17 juillet 2012 M. Christian Raysséguier, premier avocat général à la Cour de cassation, membre du Conseil supérieur de la magistrature, en qualité de rapporteur conformément aux dispositions de l’article 63 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 portant statut de la magistrature. Le rapporteur a procédé à l’enquête d’usage et déposé le présent rapport.
I. Le magistrat, sa carrière, sa façon de servir
M. Philippe Courroye est né à Lyon le 10 janvier 1959. Il est marié et père de 4 enfants. Titulaire d’une licence en Droit privé et du diplôme de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, il réussit le concours d’entrée à l’École nationale de la magistrature qu’il rejoindra après avoir effectué son service militaire. Il en sortira classé 4e sur une promotion de 231 auditeurs de justice.
Il sera installé dans ses premières fonctions de magistrat, le 7 janvier 1987, en qualité de juge d’instruction au tribunal de grande instance de Lyon ; il occupera ce poste près de dix années.
Il va très vite s’imposer comme un jeune magistrat solide et compétent ; sa rigueur professionnelle, son esprit vif et intelligent, son ardeur et sa grande puissance de travail lui permettent d’instruire avec diligence des dossiers particulièrement complexes touchant au droit pénal des affaires.
Qualifié de talentueux par ses notateurs, M. Courroye excelle dans le traitement des dossiers difficiles qu’ils soient du domaine économique et financier ou criminel. Il instruit avec calme et méthode ; il est déterminé, pugnace et intuitif, aussi ses investigations débordent souvent sur des découvertes inattendues et déterminantes.
Doté d’une grande force de caractère, d’une incontestable autorité naturelle, il a su instruire sereinement plusieurs dossiers très sensibles, au lourd retentissement médiatique.
En dépit de la lourde charge de son cabinet d’instruction, M. Courroye s’astreint à siéger régulièrement aux audiences correctionnelles et en cour d’assises pour participer au service général de la juridiction et enrichir son expérience professionnelle.
« L’un des magistrats les plus brillants de sa génération »
Son entourage professionnel loue la discrétion, la réserve et la parfaite courtoisie de ce magistrat. Le premier président de la cour d’appel de Lyon considère dans une évaluation datée du 29 décembre 1995 que « M. Courroye est à l’évidence l’un des magistrats les plus brillants de sa génération ».
Inscrit au tableau d’avancement de 1995, M. Courroye accédera au premier grade par son installation le 2 décembre 1996 au parquet général de la cour d’appel de Lyon, en qualité de substitut général. Il va s’adapter très rapidement à ses nouvelles fonctions et son ardeur au travail ne se démentira pas.
Outre le suivi de l’action publique en matière économique et financière conduite par les parquets du ressort de la cour d’appel, suivi dans lequel il excellera, lui seront confiées par le procureur général les fonctions de secrétaire général du parquet général.
Il s’initiera ainsi aux tâches d’administration et de gestion des juridictions et son sens de l’organisation et de la méthode sera souligné.
De même sera remarquée la très grande qualité de ses réquisitions lorsqu’il interviendra comme avocat général à l’audience de la cour d’assises.
Au terme de trois années passées au parquet général de Lyon, M. Courroye rejoindra le tribunal de grande instance de Paris où il sera installé, le 6 septembre 1999, en qualité de premier juge d’instruction. Il sera d’emblée affecté à la section financière du « pôle économique et financier » de Paris. « Réunissant de manière éclatante tous les talents d’un grand pénaliste, maîtrisant à la perfection, la technique de l’instruction, extraordinairement organisé… » comme l’écrit le président du TGI de Paris dans son évaluation du 22 mai 2003, M. Courroye se verra confier des dossiers particulièrement lourds et complexes avec des ramifications internationales, souvent très médiatisés, qu’il instruira avec une détermination et une rigueur exemplaires, faisant preuve d’une exceptionnelle force de caractère et d’une totale indépendance, malgré diverses pressions, menaces ou attaques personnelles qu’il a eu à subir.
Le premier président de la cour d’appel de Paris retiendra les qualificatifs « d’exceptionnel » ou « d’excellent » pour toutes les rubriques de la grille d’évaluation de ce magistrat renseignée le 18 mai 2005. Il soulignera, en outre, les mérites et les aptitudes de M. Courroye à devenir chef d’une juridiction de grande taille, plus particulièrement d’une comme procureur de la République.
Après sept ans et demi passés au pôle financier de Paris, M. Courroye accédera aux fonctions hors hiérarchie par sa nomination en qualité de procureur de la République près le tribunal de grande instance de Nanterre, poste où il sera installé le 25 avril 2007.
Une « réussite totale » au parquet de Nanterre
Il sera évalué le 31 mars 2009 par son procureur général M. Lathoud, Ce dernier écrira que « M. Courroye s’est imposé comme un chef de parquet incontesté… toujours en première ligne… » « qu’il conduit avec doigté et pertinence des affaires individuelles sensibles et complexes », « qu’il administre la juridiction en très bonne intelligence avec le président » et que « sa réussite à la tête du parquet de Nanterre est totale ».
Le procureur général loue la « puissance de travail, l’efficacité, l’intelligence de la situation, l’ascendant dont M. Courroye fait preuve ». Il souligne la pertinence et la précision des analyses juridiques faites par ce magistrat, de même que la grande qualité des rapports administratifs, toujours très complets, qu’il adresse au parquet général.
Il est dit que M. Courroye, « ouvert sur le monde extérieur », développe des activités de formation ou d’enseignement à l’Ecole nationale de la magistrature comme à l’Université et qu’il participe à de nombreux colloques ou réunions, interministériels ou internationaux, sur des questions touchant à la grande criminalité économique et financière.
M. Courroye sera évalué le 22 février 2012 par M. Ingall-Montagnier, procureur général près la cour d’appel de Versailles qui a succédé à M. Lathoud. M. Ingall-Montagnier indique que « M. Courroye continue de mettre les qualités précédemment relevées à son sujet au service d’une action particulièrement déterminée et dynamique à la tête de son parquet » ; il souligne « les initiatives innovantes et judicieuses de ce procureur dans la politique pénale qu’il conduit et les partenariats qu’il a mis en place ».
Le procureur général conclut que « dans un contexte de charge d’activité particulièrement lourde et de moyens tendus, M. Courroye conduit une action publique déterminée et diversifiée dans son parquet qui est l’un des plus importants du pays ».
Il convient de relever que si la plupart des cadres de la grille d’évaluation sont renseignés et cochés tous « exceptionnel » ou « excellent », curieusement les rubriques « fonctions du parquet » et notamment celles intitulées « capacité à s’inscrire dans la relation hiérarchique» et « capacité à s’inscrire dans une relation d’équipe » ne sont pas renseignées. Il est cependant noté dans le document intitulé « résumé d’entretien préalable », outre qu’il a été demandé au procureur « de veiller attentivement aux stocks de flux de l’activité des services » comme cela a déjà été rappelé dans les rapports d’inspections semestrielles conduites par le parquet général, qu’il lui a aussi été demandé « de veiller avec diligence aux délais de réponse à observer pour les demandes de rapports administratifs et d’action publique » formulées par le parquet général.
Le parquet général « mis devant le fait accompli »
Questionné par le rapporteur sur la façon dont s’organisaient les relations professionnelles entre M. Courroye et le parquet général de Versailles, M. Ingall-Montagnier a déclaré qu’il considérait que le parquet de Nanterre « aurait pu être plus dans l’anticipation de l’information qu’il devait sur le développement des affaires qui le méritaient » et que, sur le plan général, il y avait de fréquents retards dans l’information que ce parquet se devait de donner ; ainsi, « de nombreux rappels, y compris récapitulatifs sur plusieurs affaires, devaient être faits ».
Quant à M. Zanoto, avocat général chargé du suivi des affaires financières au parquet général, il déclarait au rapporteur : « l’information donnée par ce parquet au parquet général était très irrégulière, à l’inverse des autres parquets ; parfois elle était même incomplète. Ceci étant, nous avions affaire à des magistrats de grande compétence ; le problème avec ce parquet c’est que « nous courrions » derrière l’information. Nous n’étions jamais consultés et, en quelque sorte, toujours mis devant le fait accompli… L’information ne venait pas spontanément, c’est même parfois la Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) qui nous alertait sur une affaire pour que nous demandions au parquet de Nanterre des éléments que nous n’avions pas ».
M. Zanoto ajoutait que « cette situation de fort déficit d’information » était connue des autres collègues du parquet général, comme du procureur général qui avait demandé au printemps 2011 qu’un état des dossiers ayant fait l’objet de rappels et restés sans réponse soit établi.
Entendu par le rapporteur, M. Courroye a déclaré ne pas comprendre le déficit d’information que lui reproche sa hiérarchie. Il a expliqué qu’il avait très souvent au téléphone le procureur général et qu’il avait toujours eu le souci, à ce poste de responsabilité à Nanterre, d’informer en temps utile le parquet général des affaires qui le méritaient. Pour illustrer l’intensité de ces échanges, il expliquait que ce n‘était pas moins de 200 affaires « signalées » qui étaient ainsi suivies par son parquet en liaison avec le parquet général ; pour justifier de la densité et de la qualité des échanges avec le parquet général, M. Courroye a fait parvenir au rapporteur un volumineux dossier (cotes D143 et D207) constitué de nombreux courriels et rapports administratifs adressés au parquet général courant 2009 à 2012 pour les seules « affaires Bettencourt ».
Il s’insurgeait contre l’affirmation selon laquelle il ne consultait jamais le parquet général sur la pertinence des investigations qu’il envisageait ou sur des problèmes juridiques qui se posaient, précisant qu’il arrivait par contre au parquet général ainsi questionné de ne pas répondre.
Le sévère rapport de l’Inspection
Par note du 21 décembre 2012, le directeur du Cabinet du garde des sceaux a saisi l’inspection générale des services judiciaires et lui a donné mission de procéder à un « contrôle de fonctionnement et des conditions de travail du service pénal du tribunal de grande instance de Nanterre ».
Dans le cadre des dispositions prévues par le décret du 29 décembre 2010 relatif aux attributions de l’inspecteur général des services judiciaires, le rapport de l’inspection générale a été communiqué au CSM le 6 septembre 2013. Il y est formulé 86 recommandations d’amélioration du fonctionnement du service et des conditions de travail des magistrats et des fonctionnaires.
Les travaux de l’inspection ont porté, au-delà des seuls services du parquet, sur l’ensemble du service pénal de la juridiction de Nanterre.
Pour ce qui est de la période pendant laquelle M. Courroye y exerçait en qualité de procureur de la République, soit jusqu’au mois d’août 2012, l’inspection générale a relevé, notamment :
– un exercice difficile puis déséquilibré de la dyarchie, tenant au goût peu marqué du procureur de la République pour l’administration et la gestion de la juridiction et à sa disponibilité limitée pour traiter des questions afférentes ; le président de la juridiction étant aussi amené seul le pilotage des services communs ;
(dyarchie: la direction de la juridiction à la fois par le président du tribunal et le procureur de la République)
– une atmosphère de travail décrite par nombre de magistrats du parquet et du siège comme « délétère », en grande partie liée à l’affrontement largement médiatisée opposant le procureur Courroye et la présidente de la 15ème chambre correctionnelle du tribunal, Mme Prévost-Desprez.
Cette opposition, ouverte et particulièrement vive, a créé un climat de méfiance au sein de la juridiction et suscité des tensions et des clivages entre magistrats ;
– une organisation du parquet « en cercles concentriques » excluant l’esprit d’équipe, avec un très net déséquilibre des pouvoirs entre les différents procureurs adjoints, un seul étant associé par le procureur à la conduite de la politique pénale et assurant la permanence hiérarchique, les trois autres étant « marginalisés ».
– des magistrats du parquet « démobilisés », avec une charge de travail très inégalement répartie et le constat d’une chute du nombre des affaires traitées par magistrat, d’une dégradation du taux de réponse pénale et d’un « turn-over » important de magistrats en 2011 et 2012 ;
– un pilotage général du parquet mal maîtrisé, des orientations de politique pénale mal définies et une communication interne déficiente.
L’inspection générale a considéré dans son rapport de mission qu’il convenait de « recadrer » profondément l’organisation générale et l’activité des services de ce parquet, confié depuis le 23 décembre 2012 à un nouveau procureur de la République.
Par décret du 2 août 2012, après avis du Conseil supérieur de la magistrature, M. Courroye a été nommé, dans l’intérêt du service, avocat général près la cour d’appel de Paris. Il a été installé dans ses fonctions au parquet général de Paris le 10 août 2012 et affecté au service des cours d’assises du ressort de la cour d’appel.
M. Courroye a contesté cette mesure de mutation d’office et a saisi le Conseil d’Etat d’une requête en annulation pour excès de pouvoir du décret de nomination le concernant. Par décision en date du 12 avril 2013, le Conseil d’Etat a dit la requête non-fondée et l’a rejetée.
II. Le contexte des faits reprochés à M. Courroye et les procédures pénales afférentes
Le 19 décembre 2007, Mme Françoise Bettencourt épouse Meyers déposait une plainte auprès du procureur de la République de Nanterre, pour abus de faiblesse, en raison des faits imputés à M. François-Marie Banier, au préjudice de Mme Liliane Bettencourt, mère de la plaignante.
Le 15 juillet 2009, alors qu’une enquête préliminaire était en cours, Mme Françoise Bettencourt-Meyers faisait citer directement M. François-Marie Banier devant le tribunal correctionnel de Nanterre, sous la même prévention d’abus de faiblesse.
Par jugement du 1er juillet 2010, le tribunal ordonnait un supplément d’information, dont l’exécution était confiée à sa présidente, Mme Prévost-Desprez.
Sur commission rogatoire délivrée par ce magistrat, les policiers procédaient, le 1er septembre 2010, à une perquisition au domicile de Mme Liliane Bettencourt.
Le même jour, l’avocat de Mme Liliane Bettencourt déposait plainte, par fax, auprès du procureur de la République de Nanterre, du chef de violation du secret professionnel, ainsi que pour violation du secret de l’enquête ou de l’instruction.
La plainte de Me Kiejman
Cette plainte visait un article du journal Le Monde, daté du 25 septembre 2010, paru à Paris le 1er septembre en début d’après-midi, sous les signatures de M. Gérard Davet et de M. Jacques Follorou et intitulé « Les policiers sont à la recherche de petits papiers de Mme Bettencourt », rendant compte en détail d’une audition effectuée le 31 août 2010 dans cette procédure pour abus de faiblesse, ainsi que des opérations de perquisition qui avaient eu lieu le matin même.
Selon la plaignante, l’un des deux signataires de l’article, M. Jacques Follorou, était, par ailleurs, coauteur avec Mme Prévost-Desprez d’un ouvrage publié sous le titre « Une juge à abattre », ce qui laissait à penser qu’il était « effectivement le mieux à même de disposer des informations divulguées ».
Le 2 septembre 2010, le procureur de la République de Nanterre chargeait, par téléphone, d’une enquête préliminaire le directeur de l’Inspection générale des services (IGS) de la préfecture de police de Paris, M. Bard.
Le début de l’enquête était différé cependant jusqu’à l’arrivée des instructions écrites du parquet.
Le 9 septembre 2010, l’IGS recevait les instructions écrites du parquet de Nanterre, datées du 2 septembre 2010 et ainsi rédigées :
« En ayant l’honneur de le prier de bien vouloir procéder à une enquête au vu des faits révélés par la présente procédure.
En tant que de besoin, vous pourrez faire application de l’article 77-1-1 du code de procédure pénale pour obtenir, par voie de réquisitions, de toute personne, de tout établissement ou organisme privé ou public ou de toute administration publique, les documents intéressant l’enquête.
Vous voudrez bien me tenir informé téléphoniquement des développements de cette procédure ».
Dès réception de ces instructions signées par Mme Daubigney, procureur de la République adjointe, M. Jacquème, adjoint de M. Bard à l’IGS, prenait l’attache de M. Courroye, lequel lui demandait de procéder sans délai et directement aux investigations techniques sur les lignes de téléphone mobile des deux journalistes sur une période allant du 23 juillet au 2 septembre 2010.
L’enquête de l’IGS
L’exécution de l’enquête était aussitôt confiée par M. Jacquème à M. Nieto, commandant de police dans le service. Ce dernier adressait, le jour-même et le lendemain 10 septembre 2010, plusieurs réquisitions écrites à divers opérateurs de téléphonie mobile, avec pour objet :
– d’identifier les numéros de téléphones portables, personnels et professionnels, des deux journalistes, MM. Davet et Follorou,
– de recenser les numéros des appels entrants et sortants sur ces lignes, incluant les messages courts écrits dits SMS et d’identifier les titulaires des lignes correspondantes.
Il sera révélé que l’exécution de ces réquisitions permettra, après identification des numéros de téléphone portable des deux journalistes susvisés et recensement des appels entrants et sortants, l’identification du téléphone portable professionnel de Mme Raphaëlle Bacqué, chef du service politique du journal Le Monde.
L’enquête préliminaire se prolongeait jusqu’au 6 octobre 2010.
Les policiers ont ainsi pu obtenir les « fadettes » des deux journalistes et exploiter les listes de numéros de téléphone constituant un dossier de 700 feuillets. Grâce à ce travail fastidieux, les contacts des deux journalistes en relation possible avec la procédure en cours ont pu être isolés et identifiés.
L’enquête en cours donnait lieu à des comptes rendus réguliers de M. Jacquème à M. Courroye, ou à son adjointe, Mme Marie-Christine Daubigney, procureur de la République adjointe en charge au parquet de Nanterre de la division des affaires économiques et financières.
Les deux magistrats mettaient à profit ces communications pour donner des instructions orales à l’enquêteur par l’intermédiaire de son supérieur hiérarchique.
Ainsi le 30 septembre 2010, selon les mentions portées par l’officier de police judiciaire et bien que l’existence d’une semblable demande soit vivement contestée par les deux magistrats, instruction était donnée à l’IGS de solliciter par voie de réquisition l’opérateur du téléphone mobile de M. Follorou aux fins d’obtenir le contenu de 57 SMS échangés entre lui et Mme Prévost-Desprez, entre le 23 juillet et le 2 septembre 2010.
En exécution de ces instructions, M. Nieto rédigeait une réquisition à la société Orange France demandant qu’il lui soit adressé le contenu « si cela est techniquement possible » des SMS échangés sur les lignes de téléphone mobile de ces deux personnes.
(Article L34-1 du Code des postes et des communications (…) VI. – Les données conservées et traitées dans les conditions définies aux III, IV et V portent exclusivement sur l’identification des personnes utilisatrices des services fournis par les opérateurs, sur les caractéristiques techniques des communications assurées par ces derniers et sur la localisation des équipements terminaux. Elles ne peuvent en aucun cas porter sur le contenu des correspondances échangées ou des informations consultées, sous quelque forme que ce soit, dans le cadre de ces communications. NDLR)
Le 6 octobre 2010, après avis de rejet de cette dernière demande par l’opérateur, du fait de l’impossibilité technique d’accéder au contenu de ces SMS, l’enquête était clôturée et les pièces d’exécution retournées au parquet de Nanterre.
A leur réception, les faits reprochés étant susceptibles de mettre en cause Mme Prévost-Desprez, magistrate de la juridiction, le procureur de la République sollicitait du procureur général près la cour d’appel de Versailles, en application de l’article 43 alinéa 2 du code de procédure pénale, un dessaisissement de sa juridiction au profit d’un autre tribunal. Le procureur général faisait droit à cette requête et désignait le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Versailles. Ce dernier ouvrait, le 26 octobre 2010, une information contre personne non dénommée du chef de violation du secret professionnel. Mme Liliane Bettencourt se constituait partie civile auprès du juge d’instruction saisi.
L’annulation de la procédure
Le 8 novembre 2010, le procureur général près la cour d’appel de Versailles adressait à la Cour de cassation une requête en dessaisissement dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice ; par arrêt du 17 novembre 2010, la Chambre criminelle désignait la juridiction d’instruction du tribunal de grande instance de Bordeaux pour poursuivre l’information.
Le 24 janvier 2011, les juges d’instruction chargés de l’information saisissaient la chambre de l’instruction, en application de l’article 170 du code de procédure pénale, aux fins qu’il soit statué sur la régularité des réquisitions adressées, en application de l’article 77-1-1 du code de procédure pénale, par les enquêteurs aux divers opérateurs téléphoniques.
Par arrêt du 5 mai 2011, la chambre de l’instruction de Bordeaux annulait les réquisitions ayant ordonné les investigations sur les téléphones des journalistes, car « …prises sans leur accord, en violation manifeste tant de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme que de l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 » : l’annulation prononcée s’étendait à toutes les pièces dont les réquisitions étaient le support nécessaire.
Le 6 décembre 2011, la chambre criminelle de la Cour de cassation rejetait le pourvoi formé contre cet arrêt par Mme Liliane Bettencourt, en considérant « que l’atteinte portée au secret des sources des journalistes n’était pas justifiée par l’existence d’un impératif prépondérant d’intérêt public et que la mesure n’était pas strictement nécessaire et proportionnée au but légitime poursuivi » et que, dès lors, « la chambre de l’instruction a légalement justifié sa décision tant au regard de l’article 10 de a Convention européenne des droits de l’homme qu’au regard de l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 ».
Le réquisitoire introductif du procureur de la République n’ayant pas été annulé, l’information se poursuit à Bordeaux sur la base des éléments du dossier non annulés, à savoir principalement la plainte initiale déposée par Mme Liliane Bettencourt.
La mise en examen de Philippe Courroye
Le 1er juin 2011, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris, à la suite de la plainte avec constitution de partie civile déposée par MM. Davet et Follorou, ouvrait une information à l’occasion de laquelle M. Courroye était mis en examen le 17 février 2013 des chefs de « collecte de données à caractère personnel, par un moyen frauduleux, déloyal ou illicite » et « atteinte au secret des correspondances par personne dépositaire de l’autorité publique » et placé sous le statut de témoin assisté pour les délit de « violation du secret professionnel et recel » ; Mme Daubigney, son adjointe, était placée sous le statut de témoin assisté pour les mêmes chefs. Tous deux ont présenté des requêtes en nullité en soutenant qu’une information ne pouvait, en l’espèce, être ouverte sans qu’il soit contrevenu à l’article 6-1 du code de procédure pénale, les infractions dénoncées supposant la commission d’une irrégularité de procédure définitivement constatée par la juridiction saisie.
L’annulation de la mise en examen
Pour faire droit à ces requêtes et annuler l’entière procédure à compter et y compris du réquisitoire introductif, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris, dans son arrêt du 22 mars 2012, après avoir relevé que l’atteinte à la protection des sources des journalistes dénoncée par les parties civiles impliquait bien la violation d’une disposition de procédure pénale au sens de l’article 6-1 du code de procédure pénale, retenait qu’à la date de la mise en mouvement de l’action publique, aucune décision définitive n’avait encore constaté le caractère illégal des réquisitions du parquet de Nanterre, la circonstance que, postérieurement à l’engagement des poursuites, ce caractère illégal ait été définitivement reconnu n’ayant pas eu pour effet de valider a posteriori l’ouverture de l’information sur plainte avec constitution de partie civile. Sur pourvoi de MM. Davet et Follorou, la chambre criminelle, par arrêt du 25 juin 2013, considérait comme justifiée la décision de la chambre de l’instruction, « l’action publique ne pouvait être engagée qu’après la constitution définitive du caractère illégal des actes accomplis » et rejetait le pourvoi.
Le dossier d’information, privé des actes d’information ainsi annulés, a été renvoyé au juge d’instruction de Paris saisi de la plainte avec constitution de partie civile initiale pour laquelle la consignation fixée avait été acquittée, étant précisé qu’il résulte de l’article 6-1 du code de procédure pénale que le délai de prescription de l’action publique de l’infraction dénoncée ne court qu’à compter de la décision définitive constatant l’illégalité des actes reprochés.
A la date du présent rapport, le dossier n’a pas été communiqué au procureur de la République pour qu’il prenne de nouvelles réquisitions dans le sens qu’il appréciera.
L’autonomie de la procédure disciplinaire
Il sera rappelé, à ce stade, le principe de l’autonomie de la procédure disciplinaire.
Selon une formule devenue traditionnelle, le Conseil d’Etat énonce qu’aucun disposition législative ou réglementaire ni aucun principe général du droit n’interdisent à l’autorité administrative de se prononcer sur l’instance disciplinaire avant qu’il n’ait été statué par la juridiction répressive (ainsi, CE arrêt Tordo 11 juillet 1958, Rec p. 431 ; CE 26 octobre 2005 ; CE 27 mai 2009).
Le Conseil supérieur de la magistrature a été amené dans plusieurs décisions rendues en matière disciplinaire, rappelant le principe de l’autonomie de la procédure disciplinaire, à estimer qu’il n’y avait pas lieu à surseoir à statuer jusqu’à décision définitive sur les poursuites pénales (ainsi, CSM Parquet – 11/07/2007 – n° P056 : « considérant que l’autonomie de la procédure disciplinaire ne conduit pas à subordonner son issue au résultat du procès pénal en cours, la présente procédure pouvant être menée à son terme sans qu’il y ait lieu d’attendre l’achèvement de la procédure pénale ». En tout état de cause, le sursis à statuer, s’il a pu être prononcé, cesse lorsque la juridiction pénale s’est définitivement prononcée sur la matérialité des faits objets des poursuites en cours, ce qui conduit le CSM à ne pas attendre que la Cour de cassation juge le pourvoi formé dans la procédure (CSM Siège – 7 février 2006 – S146).
C’est bien le cas en l’espèce, avec l’arrêt de la Chambre criminelle du 6 décembre 2011 rejetant le pourvoi dirigé contre l’arrêt de la chambre de l’instruction de Bordeaux annulant les réquisitions données à l’IGS par le parquet de Nanterre.
Il convient enfin de rappeler que le Conseil supérieur de la magistrature, a admis le versement au dossier disciplinaire d’éléments de preuve issus de la procédure pénale en cours dès lors que ces éléments avaient été débattus contradictoirement conformément à l’article 51 alinéa 1er de l’Ordonnance statutaire (CSM Parquet 19 juin 11995 – P28). Le Conseil d’Etat a confirmé cette appréciation (CE 29 juillet 1998, n° 173940) ; le Conseil d’Etat a toujours admis que l’autorité disciplinaire puisse se fonder sur des faits recueillis au cours d’une procédure pénale non encore terminée (CE 26 juillet 1982, n° 34740).
III. Le traitement de la plainte déposée devant le CSM
Le 20 janvier 2012, MM. Gérard Davet et Jacques Follorou, journalistes au journal Le Monde et la société anonyme éditrice du journal Le Monde déposaient plainte auprès du Conseil supérieur de la magistrature à l’encontre de M. Courroye, procureur de la République près le tribunal de grande instance de Nanterre, pour avoir ordonné une enquête illégale constitutive d’une atteinte au secret des sources des journalistes, comportement susceptible, selon les plaignants, de recevoir une qualification disciplinaire.
La commission d’admission des requêtes compétente à l’égard des magistrats du parquet, après avoir déclaré la plainte recevable, provoqué les observations écrites de M. Courroye et du procureur général près la cour d’appel de Versailles, M. Ingall-Montagnier, et entendu M. Courroye, décidait le 10 juillet 2012 que les faits visés par la plainte étaient susceptibles de recevoir une qualification disciplinaire et renvoyait l’examen de ladite plainte devant la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente pour la discipline des magistrats du parquet.
Par arrêté du 17 juillet 2012, M. le procureur général près la Cour de cassation, président de la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente pour la discipline des magistrats du parquet, désignait en qualité de rapporteur, M. Christian Raysséguier, premier avocat général à la Cour de cassation, membre du Conseil supérieur de la magistrature.
M. Courroye a été entendu le 15 mars 2013 par le rapporteur ; il était assisté de ses conseils, M. Jean-Yves Dupeux et M. Francis Teitgen, avocats au barreau de Paris. Le dossier de la procédure ainsi que le dossier administratif personnel du magistrat avaient été préalablement mis à la disposition de M. Courroye et des conseils qui en ont pris connaissance.
Par la suite, l’entier dossier de la procédure disciplinaire a été mis à la disposition de M. Courroye et de ses conseils et de la Direction des services judiciaires du ministère de la justice, pendant les horaires d’ouverture du secrétariat général du Conseil supérieur de la magistrature ; copie des actes effectués ou des pièces versées au dossier leur a été systématiquement délivrée.
IV. Analyse et discussion de la plainte visant M. Courroye
Les faits reprochés à M. Courroye dans la plainte en date du 20 janvier 2012 s’organisent en trois griefs :
1. Il lui est tout d’abord reproché d’avoir demandé aux enquêteurs de l’Inspection générale des services (IGS) d’examiner et d’identifier nominativement, de manière exhaustive, sur une période de 42 jours, l’ensemble des appels reçus et émis ainsi que des messages courts appelés SMS relatifs aux numéros de téléphone professionnel et personnel, à obtenir auprès des opérateurs de téléphonie, de MM. Gérard Davet et Jacques Follorou, journalistes au quotidien Le Monde ;
2. Il lui est ensuite reproché d’avoir exercé des pressions sur les policiers de l’IGS et ce, à deux reprises :
– d’une part, le 25 octobre 2010, en convoquant à son bureau les enquêteurs pour leur signifier que, contrairement à ce que ces derniers avaient transcrit en procédure, ni lui-même ni son adjointe, Mme Marie-Christine Daubigney, procureure de la République adjointe, ne leur avaient demandé d’obtenir le contenu de 57 SMS envoyés et reçus par M. Jacques Follorou dans ses échanges téléphoniques avec Mme Prévost-Desprez, vice-présidente au tribunal de grande instance de Nanterre, entre le 23 juillet et le 23 septembre 2010 ;
– d’autre part, au cours de l’information judiciaire suivie au tribunal de grande instance de Paris, des chefs de « collecte de données à caractère personnel par moyen frauduleux, déloyal ou illicite », « violation du secret professionnel et recel » de ce délit, « atteinte au secret des correspondances par personne dépositaire de l’autorité publique agissant dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions », en demandant à M. Patrick Nieto, commandant de police, entendu comme témoin assisté par le juge d’instruction, de prendre lui-même l’initiative de saisir la chambre de l’instruction d’une requête en nullité de la procédure, procédure qui visait également M. Courroye puisqu’il était nommément mis en cause par la plainte des parties civiles mais non encore entendu.
3. Enfin, il lui est reproché d’avoir, une fois révélée dans les médias l’enquête conduite par l’IGS sur ses réquisitions ainsi que les décisions judiciaires subséquentes, fait des déclarations publiques par voie de presse, inappropriées à son statut et à ses fonctions de procureur de la République et contraires à la réserve qui sied à un magistrat, notamment en soutenant toujours, selon les plaignants, qu’une procédure illégale ne présente aucune espèce de gravité et en justifiant les actes de l’enquête préliminaire qu’il avait initiée, alors que celle-ci avait été définitivement jugée illégale et annulée.
Au soutien de leur plainte, les plaignants joignaient deux articles de presse, l’un paru dans les echos.fr le 28 novembre 2011, l’autre paru dans Le Monde le 28 décembre 2011, ainsi qu’un communiqué de presse que M. Courroye avait fait paraître le 17 janvier 2012.
Il incombe au Conseil supérieur de la magistrature, « par un examen de la totalité des faits dénoncés dans sa saisine et dans leur indivisible globalité, de dire si les manquements allégués sont susceptibles de caractériser une faute disciplinaire et de donner aux manquement retenus la qualification qui lui apparaît légitime et pertinente » (CSM Siège – 21 décembre 1995 – S088)
L’affaire des fadettes
PREMIER GRIEF
Généralités
L’article 43 de l’ordonnance du 22 décembre 1958, tel que modifié par la loi organique du 22 juillet 2010, dispose que « tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l’honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire.
Constitue un manquement aux devoirs de son état la violation grave et délibérée par un magistrat d’une règle de procédure constituant une garantie essentielle des droits des parties, constatée par une décision devenue définitive.
La faute s’apprécie pour un membre du parquet… compte tenu des obligations qui découlent de sa subordination hiérarchique. »
Le projet de loi organique du 2007 relatif à la responsabilité des magistrats complétait l’article 43 de l’ordonnance statutaire de 1958 qui définit la faute disciplinaire en énonçant que « constitue un des manquements aux devoirs de son état la violation grave et délibérée par un magistrat d’une règle de procédure constituant une garantie essentielle des droits des parties, commise dans le cadre d’une instance close par une décision de justice devenue définitive. »
Dans sa décision n°2007-551 du 1er mars 2007, le Conseil constitutionnel a considéré que si l’indépendance de l’autorité judiciaire et le principe de la séparation des pouvoirs n’interdisent pas au législateur organique d’étendre la responsabilité disciplinaire des magistrats à leur activité juridictionnelle en prévoyant qu’une violation grave et délibérée d’une règle de procédure puisse engager une telle responsabilité, ces mêmes principes font obstacle à l’engagement de poursuites disciplinaires lorsque cette violation n’a pas été préalablement constatée par une décision devenue définitive (consid. 7).
Le législateur organique de 2010 s’est donc conformé à la décision du Conseil constitutionnel en complétant cet article 43 par le nouvel alinéa 2.
En l’espèce, les plaignants considèrent que constitue un tel manquement le fait par le procureur de la République de Nanterre, M. Courroye, d’avoir ordonné une enquête consistant « et consistant seulement » à obtenir les facturations téléphoniques détaillées des deux journalistes du Monde, après que les numéros de leurs lignes de téléphone mobile aient été identifiées, enquête entachée d’une totale illégalité comme constituant une atteinte au secret des sources des journalistes ainsi que l’a rappelé la chambre criminelle de la Cour de cassation dans son arrêt du 6 décembre 2011.
Outre l’atteinte au secret des sources des journalistes, les plaignants considèrent que cette collecte exhaustive des appels reçus et émis et des SMS provenant de leurs lignes personnelles et professionnelles s’assimile à un « espionnage » de leur vie privée et, partant, porte atteinte à leur droit au respect de la vie privée.
Ces atteintes, outre qu’elles caractérisent le manquement sus-décrit sont, aux dires des plaignants, contraires aux devoir de loyauté, de légalité et de délicatesse qui s’imposent à tous les magistrats.
La protection du secret des sources des journalistes
L’Etat du droit et de la jurisprudence
Le cadre législatif
Le droit français relatif à la protection du secret des sources des journalistes a été modifié à plusieurs reprises depuis une vingtaine d’années, la réforme la plus récente étant intervenue en 2010.
La loi n°93-2 du 4 janvier 1993 portant réforme de la procédure pénale a constitué un progrès important par rapport à l’absence de toute disposition légale spécifique jusque-là. Sans reconnaître expressément le principe de la protection du secret des sources des journalistes, elle a prévu certaines garanties sur la plan procédural :
– en autorisant le journaliste, entendu comme témoin dans une procédure pénale à taire ses sources devant le juge d’instruction (article 109 du code de procédure pénale) ;
– en prévoyant que les perquisitions dans les locaux d’une entreprise de presse, d’une entreprise de communication audiovisuelle, d’une entreprise de communication au public en ligne, d’une agence de presse, dans les véhicules professionnels de ces entreprises ou agences ou au domicile d’un journaliste lorsque les investigations sont liées à son activité professionnelle ne peuvent être effectuées que par un magistrat qui veille au respect du libre exercice de la profession de journaliste (article 56-2 du code de procédure pénale).
La loi n°2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité dite « Perben II » a étendu ces garanties procédurales. Ainsi, s’agissant des réquisitions judiciaires ordonnées par des officiers de police judiciaire, le procureur de la République ou le juge d’instruction, la loi a exigé que la remise des documents ne pouvait intervenir qu’avec l’accord des personnes intéressées lorsqu’elles concernaient une entreprise de presse ou de communication audiovisuelle.
En cas de refus, il appartient aux enquêteurs ou au juge d’apprécier l’opportunité d’une perquisition. Celle-ci devra alors être accomplie dans les formes et suivant les conditions prévues par les articles 56-1 à 56-3 du code de procédure pénale et la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
L’impératif prépondérant d’intérêt public
La loi n° 2010-1 du 4 janvier 2010 relative à la protection du secret des sources des journalistes, a consacré dans un nouvel article 2 de la loi du 29 juillet 1881, le principe de cette protection.
Le premier alinéa de l’article 2 de la loi sur la presse dispose ainsi que « le secret des sources des journalistes est protégé dans l’exercice de leur mission d’information au public. »
Le deuxième alinéa définit ce que recouvre le terme de journaliste ; les alinéas suivants précisent la protection mise en place.
« Il ne peut être porté atteinte directement ou indirectement au secret des sources que si un impératif prépondérant d’intérêt public le justifie et si les mesures envisagées sont strictement nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi. Cette atteinte ne peut en aucun cas consister en une obligation pour le journaliste de révéler ses sources.
Est considéré comme une atteinte indirecte au secret des sources au sens du troisième alinéa, le fait de chercher à découvrir les sources d’un journaliste au moyen d’investigation portant sur toute personne qui, en raison de ses relations habituelles avec un journaliste, peut détenir des renseignements permettant d’identifier ces sources ;
Au cours d’une procédure pénale, il est tenu compte, pour apprécier la nécessité de l’atteinte, de la gravité du crime ou du délit, de l’importance de l’information recherchée pour la répression ou la prévention de cette infraction et du fait que les mesures d’investigation envisagées sont indispensables à la manifestation de la vérité ».
La loi protège donc les sources journalistiques, quelle que soit la source. Exceptionnellement, toute autorité pour porter atteinte directement ou indirectement à ce secret uniquement si les deux conditions suivantes sont cumulativement réunies :
1 – un impératif prépondérant d’intérêt public le justifie ;
2 – les mesures envisagées sont strictement nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi.
Lorsque cette atteinte interviendra au cours d’une procédure pénale, la nécessité de la mesure envisagée devra s’apprécier au regard de la gravité de l’infraction poursuivie, de l’importance de l’information recherchée pour la répression ou la prévention de cette infraction et du caractère indispensable de cette mesure pour la manifestation de la vérité.
La loi du 4 janvier 2010 susmentionnée a inséré dans le code de procédure pénale des nouvelles dispositions traduisant ces nouvelles garanties :
– le dernier alinéa de l’article 100-5 du code de procédure pénale institue en matière d’écoutes téléphoniques une protection similaire à celle prévue pour les avocats en interdisant, à peine de nullité, la retranscription des correspondances avec un journaliste portant atteinte au principe du secret des sources.
– l’article 60-1 du code de procédure pénale qui définit les réquisitions en matière de flagrant délit, a été complété. Il prévoit désormais que :
« le procureur de la République ou l’officier de police judiciaire peut, par tout moyen, requérir de toute personne, de tout établissement ou organisme privé ou public ou de toute administration publique qui sont susceptibles de détenir des documents intéressant l’enquête, y compris ceux issus d’un système informatique ou d’un traitement de données nominatives, de lui remettre ces documents, notamment sous forme numérique, sans que puisse lui être opposée, sans motif légitime, l’obligation au secret professionnel. Lorsque les réquisition concernent des personnes mentionnées aux articles 56-1 à 56-3 la remise des documents ne peut intervenir qu’avec leur accord.
A l’exception de personnes mentionnées aux articles 56-1 à 56-3, le fait de s’abstenir de répondre dans les meilleurs délais à cette réquisition est puni d’une amende de 3750 euros. »
(Loi n° 201011 du 4 janvier 2010) « A peine de nullité, ne peuvent être versés au dossier les éléments obtenus par une réquisition prise en violation de l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. »
– L’article 77-1-1 du code de procédure pénale qui définit les réquisitions en matière d’enquête préliminaire, a été également complété. Il dispose désormais que « lorsque les réquisitions concernent des personnes mentionnées aux articles 56-1 à 56-3, la remise des documents ne peut intervenir qu’avec leur accord », et indique qu’est également applicable le dernier alinéa de l’article 60-1 qui prescrit « qu’à peine de nullité, ne peuvent être versés au dossier les éléments obtenus par une réquisition prise en violation de l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. »
Le rapporteur à l’Assemblée nationale de la loi du 4 janvier 2010 précisait ainsi les raisons par lesquelles il convenait de compléter les dispositions des articles 60-1 et 77-1-1 du code de procédure pénale :
« Il s’agissait de préciser que les réquisitions judiciaires ne peuvent, à peine de nullité, porter atteinte de façon disproportionnée, au regard de la gravité de la nature de l’infraction, à la protection qui est due au secret des sources d’un journaliste, ce qui peut être le cas notamment dans l’hypothèse de réquisitions adressées à un opérateur de télécommunication ou de communication en ligne pour obtenir la liste des numéros appelés ou reçus par un journaliste ou la liste de ses correspondants e-mail. »
Dès le 20 janvier 2010, le garde des sceaux a diffusé aux parquets généraux et aux parquets une circulaire d’application de la loi du 4 janvier 2010.
La circulaire d’application
La circulaire JUS-D1001800 C en présente les dispositions ; elle expose ainsi dans quelles conditions il peut être porté atteinte au principe du secret des sources : « de manière générale, toute autorité pourra porter atteinte directement ou indirectement à ce secret si les deux conditions suivantes sont cumulativement réunies :
– un impératif prépondérant d’intérêt public le justifie ;
– les mesures envisagées sont strictement nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi.
La notion « d’impératif prépondérant d’intérêt public » est issue de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. »
La circulaire rappelle, notamment, qu’en pratique,
« comme cela a été indiqué lors de ces débats (parlementaires) l’exigence de proportionnalité entre l’atteinte au secret des sources et l’infraction poursuivie exclut par exemple recours à des perquisitions ou des interceptions téléphoniques afin de découvrir la source d’un journaliste dans une enquête portant sur des faits de violation du secret professionnel ou du secret de l’instruction, ou de recel de ces délits, mais permet ces mesures dans des procédures portant sur des faits de criminalité organisée ou de terrorisme. »
S’agissant des réquisitions et écoutes téléphoniques, la circulaire ajoute que « ces actes d’enquête ne pourront par exemple pas être ordonnés dans une procédure portant sur des faits de violation du secret professionnel ou du secret de l’instruction, ou de recel de ces délits. »
La jurisprudence postérieur à la loi du 4 janvier 2010
– La Cour de cassation a démontré dans l’arrêt (déjà cité) rendu par la chambre criminelle le 6 décembre 2011, dans cette même affaire Bettencourt, combien elle était exigeante dans l’application des dispositions légales sur le secret des sources.
Elle a ainsi considéré que : « Justifie sa décision au regard de l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 dans sa rédaction issue de la loi du 4 janvier 2010, et au regard de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, la chambre de l’instruction qui, dans une information suivie du chef de violation du secret professionnel, prononce l’annulation des réquisitions adressées, lors de l’enquête préliminaire, à des opérateurs de téléphonie, pour obtenir l’identification des numéros de téléphone des correspondants des journalistes, auteurs d’un article rendant compte d’une procédure judiciaire en cours, ainsi que celle des pièces dont elles étaient le support nécessaire, par des motifs qui établissent que cette atteinte portée au secret des sources des journalistes n’était pas justifiée par l’existence d’un impératif prépondérant d’intérêt public et que la mesure n’était pas strictement nécessaire et proportionnée au but légitime poursuivi. »
– Dans une décision définitive en l’absence de pourvoi en cassation, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris (arrêt n° 3, pôle 7 – chambre 6) a, le 13 décembre 2010, saisie par le mis en examen, ancien directeur de la DCRI au ministère de l’intérieur, d’une requête en nullité motivée notamment par le fait que la collecte de « fadettes » de journalistes serait insusceptible de qualification pénale, confirmé la mise en examen du demandeur pour ces faits sous la qualification de collecte de données à caractère personnel par moyen frauduleux, déloyal ou illicite, délit prévu et réprimé par l’article 226-18 du code pénal.
Les faits reprochés au mis en examen avaient consisté, selon les termes de l’arrêt, à « collecter les factures téléphoniques détailles de M. … et M. Gérard Davet (journaliste au journal Le Monde) aux fins d’identifier, et ce rétroactivement, les numéros appelés ou appelants sur la ligne téléphonique de chacun d’eux ».
– Dans une autre décision en date du 24 février 2012, la chambre de l’instruction de Paris (pôle 7 – chambre 4), saisie d’une requête en annulation de pièces de l’information ouverte sur la base d’une enquête préliminaire conduite par l’IGS sur des faits de corruption active et passive de fonctionnaires, a jugé que si les réquisitions autorisées par le parquet de Nanterre aux fins d’obtenir d’un opérateur de téléphonie les « fadettes » d’un journaliste (M. Romain Bolzinger, journaliste à Canal +) pouvaient être justifiées par la recherche du fonctionnaire de police auquel le journaliste aurait remis une somme d’argent en échange d’un renseignement, ce qui correspondait à un impératif prépondérant d’intérêt public, le recours aux réquisitions des facturations détaillées du journaliste, avant tout autre acte d’enquête, était disproportionné et non indispensable dans la mesure où il y a été recouru alors que d’autres actes auraient pu permettre la manifestation de la vérité.
– Par une décision rendue le 17 juin 2010, la cour d’appel de Paris (pôle 5 – chambre 7 – n° 243, ordonnance du président de chambre sur appel d’une ordonnance du juge des libertés et de la détention), dans le cadre d’une contestation d’une autorisation donnée au Conseil de la concurrence enquêtant sur des pratiques anticoncurrentielles sur le marché de la presse quotidienne sportive de procéder à des opérations de visite et de saisie dans les locaux d’une entreprise de presse, a considéré « que la poursuite d’infractions pénales, qui constituent les bornes dont la société ne permet en aucune circonstance le dépassement, est par essence un impératif prépondérant d’intérêt public ».
– Enfin, dans une décision récente, la chambre criminelle de la Cour de cassation, le 14 mai 2013 (arrêt n° 11-86.626), paraît avoir évolué dans la définition qu’elle donne de l’impératif prépondérant d’intérêt public posé par la loi du 4 janvier 2010. Après avoir considéré dans l’arrêt précité du 6 décembre 2011 que la poursuite de l’infraction de violation du secret professionnel n’était pas en soi un impératif prépondérant d’intérêt public, elle affirme que la poursuite de l’infraction de violation du secret de l’instruction peut en être un. L’affaire est la suivante :
Dans le cadre d’une information du chef de violation du secret de l’instruction ouverte à la suite d’une plainte d’une avocate dont la presse s’était fait l’écho du déroulement de la garde à vue, la chambre de l’instruction confirme l’ordonnance de non-lieu rendue par le juge d’instruction, après avoir prononcé l’annulation d’actes effectués en exécution d’un supplément d’information qu’elle avait elle-même ordonné, en l’occurrence, les réquisitions aux fins d’identification des linges téléphoniques attribués aux journalistes concernés et de production des facturations détaillées y afférentes et ce, aux motifs que ces réquisitions avaient été prises, d’une part, sans l’accord desdits journalistes et d’autre part, en violation des articles 10 de la CEDH et 2 de la loi du 29 juillet 1881, dans sa rédaction issue de la loi du 4 janvier 2010, dès lors que l’existence d’un impératif prépondérant d’intérêt public n’était pas avérée et que l’atteinte portée au secret des sources, à partir de simples suppositions des parties civiles, était disproportionnée.
L’arrêt est cassé, la chambre de l’instruction n’ayant pas justifié sa décision « en se déterminant par ses seuls motifs, d’une part, sans mieux s’expliquer sur l’absence d’un impératif prépondérant d’intérêt public alors que la violation du secret de l’instruction reprochée imposait de rechercher les auteurs de cette infraction ayant porté atteinte à la présomption d’innocence, d’autre part, sans caractériser plus précisément le défaut de nécessité et de proportionnalité des mesures portant atteinte au secret des sources des journalistes au regard du but légitime poursuivi, et enfin, en faisant à tort référence à l’obligation d’obtenir l’accord des journalistes pour procéder aux réquisitions litigieuses alors qu’un tel accord n’est nécessaire que si ces professionnels sont directement requis de fournir des informations. »
Le cadre constitutionnel
Le Conseil constitutionnel n’a jamais eu l’occasion de se prononcer directement sur la question spécifique du secret des sources.
Le cadre conventionnel relatif à la protection des sources des journalistes
Le libre exercice du journalisme est inscrit dans le droit à la liberté d’expression et d’information garanti par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) ainsi libellé :
« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.
2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielle ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »
Dans un arrêt du 26 avril 1979 (affaire Sunday Time contre Royaume-Uni), la Cour européenne des droits de l’homme a souligné l’importance, dans une société démocratique, du principe de la liberté d’expression, qui s’applique au domaine de l’administration de la justice : « Non seulement il incombe aux mass media de communiquer des informations et des idées sur les questions dont connaissent les tribunaux mais encore le public a droit d’en recevoir. Pour déterminer si une ingérence dans la liberté d’expression se justifie au regard de la Convention, il faut tenir compte des circonstances de l’espèce et en particulier de tout aspect relevant de l’intérêt public. »
De même, dans ses arrêts Handyside du 7 décembre 1976, Observer et Guardian du 26 novembre 1991, la cour de Strasbourg a affirmé que la liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique et que la presse en est « le chien de garde », expression qui sera utilisée à plusieurs reprises par la Cour européenne. Une fois la liberté de la presse ainsi érigée au sommet de la liberté d’expression au nom d’un droit du public à recevoir des informations, la cour de Strasbourg a logiquement consacré le secret des sources comme l’une des conditions essentielles de cette mission d’intérêt général.
Il est essentiel, à ses yeux, que la loi puisse assurer de façon plaine et effective la possibilité pour les journalistes d’exercer sans entrave leur mission fondamentale d’information du public, afin qu’ils soient en mesure de jouer leur rôle de « chiens de garde de la démocratie ».
Ce sont tout particulièrement les atteintes illégitimes susceptibles d’être commises par les autorités publiques à l’encontre du secret des sources des journalistes qui doivent ainsi être prohibées et prévenues de la façon la plus efficace possible.
Dans chaque affaire mettant en cause l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme (ainsi les arrêts Fressoz et Roire c/France du 21 janvier 1999, Colombani c/France du 25 juin 2002), elle a affirmé dans un considérant désormais classique que « la liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique et les garanties accordées à la presse revêtent une importance particulière. La protection des sources journalistiques est « l’une des pierres angulaires de la liberté de la presse… »
Dans l’arrêt Goodwin c/Royaume-Uni du 27 mars 1996, la Cour considère que « … quoi qu’il en soit, l’intérêt public de ces informations ne pourrait servir de critère pour juge de l’existence d’un besoin social impérieux poussant à ordonner la divulgation de la source. Un informateur pourrait fournir des renseignements de faible intérêt un jour et de grande importance le lendemain. »
Elle affirme de façon solennelle que « la protection des sources journalistiques est l’une des pierres angulaires de la liberté de la presse », parce que « l’absence d’une telle protection pourrait dissuader les sources journalistiques d’aider à la presse à informer le public sur des questions d’intérêt général. En conséquence, la presse pourrait être moins à même de jouer son rôle indispensable de « chien de garde » et son aptitude à fournir des informations précises et fiables pourrait s’en trouver amoindrie. »
Le comité des ministres du Conseil de l’Europe, dans l’exposé des motifs de sa recommandation du 8 mars 2000 sur le droit des journalistes de ne pas révéler leurs sources d’information, ne dit pas autre chose lorsqu’il déclare que « la protection de la relation professionnelle entre les journalistes et leurs sources est plus importante que la valeur réelle de l’information en question pour le public. Toute révélation d’une source peut avoir un effet inhibant sur les futures sources. »
Dans l’esprit de la Cour, c’est le droit du public d’être informé sur des questions d’intérêt général qui doit être impérativement assuré.
Dans sa volonté de favoriser et de protéger la presse d’investigation, la Cour européenne des droits de l’homme a donc accordé au secret des sources une prééminence sur d’autres droits individuels ou collectifs comme la présomption d’innocence, le respect de la vie privée ou le secret de l’instruction.
Depuis l’arrêt Goodwin c/Royaume-Uni précité, la Cour européenne n’a pas manqué de toujours condamner les États ayant porté atteinte au secret des sources dans le cadre d’une procédure pénale.
La jurisprudence penche en faveur du secret des sources
Si le sens de la jurisprudence de la Cour européenne penche nettement en faveur du secret des sources et du droit des journalistes à rechercher et à diffuser des informations non publiques, son analyse n’exclut pas a priori que des atteintes puissent être portées au secret des sources. A cet égard, sa jurisprudence permet de conserver une marge d’appréciation importante pour tenir compte des circonstances particulières.
Depuis les arrêts Goodwin c/Royaume-Uni, Fressoz et Roire c/France du 21 janvier 1999, précités, Roemen et Schmit c/Luxembourg du 25 février 2003 et Ernst c/Belgique du 15 octobre 2003, la Cour a dégagé plusieurs critères pour déterminer la licéité d’une atteinte au secret des sources :
– l’existence d’un impératif prépondérant d’intérêt public. La cour de Strasbourg n’a pas fixé de liste d’infractions susceptibles d’être qualifiés d’impératif prépondérant d’intérêt public. Elle admet que soient qualifiées ainsi des infractions ne consistant pas nécessairement à une atteinte à l’intégrité physique des personnes ou aux intérêts fondamentaux de la Nation ;
– la nécessité de l’atteinte, c’est-à-dire l’importance de l’information recherchée pour réprimer ou prévenir l’infraction ;
– la proportionnalité de l’atteinte. La Cour vérifie notamment si d’autres mesures n’auraient pas permis de parvenir aux mêmes résultats.
Appliquant ces principes aux cas de poursuites en France de journalistes pour recel de violation du secret professionnel, la CEDH a condamné la France dans un arrêt Martin du 12 avril 2012, jugeant que la liberté d’expression est un principe majeur qui ne supporte que peu de restrictions. Admettant que la présomption d’innocence soit considérée comme un motif légitime de restriction à cette liberté, la Cour a néanmoins considéré dans une appréciation in concreto (dans ce cas précis) que ce motif n’était suffisant que dans certains cas et notamment pas dans le cas d’espèce qui lui était soumis, à savoir la publication par la presse d’un rapport d’observation provisoire d’une chambre régionale des comptes mettant en cause la gestion d’un élu.
De la même manière, la Cour européenne a, à nouveau, condamné la France le 28 juin 2012 dans un arrêt Ressiot et autres c/France, jugeant « disproportionnées » les perquisitions et saisies conduites dans deux journaux et au domicile de cinq journalistes mis en cause des chefs de violation de secret de l’instruction et recel de ce délit, dans le cadre de l’affaire Cofidis (dopage de coureurs cyclistes professionnels), actes réalisés après qu’aient été obtenus par réquisitions auprès des opérateurs de téléphone les factures détaillées des appels entrants et sortants des numéros de téléphone des journalistes, du standard et des postes internes de l’hebdomadaire Le Point.
La Cour européenne en a profité pour réaffirmer l’importance de la protection du secret des sources : « le droit des journalistes de taire leurs sources ne saurait être considéré comme un simple privilège qui leur serait accordé ou retiré en fonction de la licéité ou de l’illicéité des sources, mais un véritable attribut du droit à l’information, à traiter avec la plus grande circonspection. » Selon la Cour, « il convient d’apprécier avec la plus grand prudence, dans une société démocratique, la nécessité de punir pour recel de violation du secret de l’instruction ou de secret professionnel des journalistes qui participent à un débat public d’une telle importance, exerçant ainsi leur mission de « chiens de garde » de la démocratie. » Et la Cour a jugé qu’il n’avait pas été démontré, dans cette affaire, « qu’une balance équitable des intérêts en présence (avait) été préservée ». Elle ajoutait que « les mesures litigieuses ne représentaient pas des moyens raisonnablement proportionnés à la poursuite des buts légitimes visés compte tenu de l’intérêt de la société démocratique et à maintenir la liberté de la presse. »
Il convient de souligne d’une part, que cette condamnation s’applique à une procédure régie par le droit antérieur à la loi du 10 janvier 2010 et d’autre part, que la procédure pénale en case a été conduite auprès du tribunal du grande instance de Nanterre de février 2004, date de la saisine pour enquête par le parquet de Nanterre de l’IGS, au 11 mai 2010, date du jugement définitif de relaxe rendu par le tribunal correctionnel de Nanterre dans cette affaire.
Le projet de loi Taubira
Projet de loi renforçant le secret des sources
Pour être complet dans l’exposé du cadre normatif entourant ce principe de la protection des sources des journalistes, il convient de préciser qu’à la date de rédaction du présent rapport, la garde des sceaux, ministre de la justice, consciente des atteintes portées à ce principe à l’occasion de différentes affaires pénales récentes, dont celle qui fait l’objet de la présente procédure disciplinaire, a pu considérer que la législation actuelle comme insuffisamment protectrice de la prééminence du secret des sources.
Dans les documents accompagnant le projet de loi « renforçant la protection du secret des sources des journalistes », la garde des sceaux a été amenée à présenter en conseil des ministres, le 12 juin 2013, la loi du 4 janvier 2010 comme « peu efficace, et ne permettant pas de prévenir des atteintes injustifiées au secret des sources… notamment par le procureur de la République, magistrat en charge des investigations, avant que la procédure ne soit annulée par la chambre de l’instruction et que cette annulation soit confirmée par la Cour de cassation. »
Le projet de loi poursuit trois objectifs : d’une part, définir plus strictement les cas dans lesquels des atteintes peuvent être apportées au secret des sources, d’autre part, exiger que dans le cadre d’une procédure pénale, de telles atteintes ne puissent être ordonnées que par un magistrat du siège (juge des libertés et de la détention), distinct du magistrat (procureur ou juge d’instruction) en charge des investigations, enfin aggraver la répression des atteintes au secret des sources.
La violation grave et délibérée par M. Courroye du secret des sources des journalistes, règle de procédure constituant une garantie essentielle des droits des parties
Les explications données par M. Courroye
Entendu, M. Courroye conteste ce grief.
Il donne des faits qui lui sont reprochés la version et les explications suivantes :
Il tient tout d’abord à souligner le contexte général de cette « affaire Bettencourt », qui concerne plusieurs procédures suivies au tribunal de Nanterre, très médiatisée et ponctuée Courroye de « fuites » incessantes qui polluaient, selon lui, le travail de la police.
Son parquet a été destinataire dans l’après-midi du 1er septembre 2010 d’une télécopie de Me Kiejman déposant plainte pour le compte de sa clients, Mme Liliane Bettencourt. M. Courroye s’est aussitôt entretenu de la suite à donner avec son adjointe, Mme Daubigney, procureure de la République adjointe, qui supervisait la division financière, chargée du suivi de l’ensemble des procédures afférentes à l’affaire Bettencourt.
Il a donné comme instruction à sa collègue de saisir l’IGS et de préparer les réquisitions habituelles d’enquête, au visa de l’article 77-1-1 du code de procédure pénale. Concomitamment, il a téléphoné à M. Bard, chef de l’IGS, pour l’avertir de cette saisine et convenir d’une stratégie d’enquête ; il a été ainsi décidé dans un souci d’efficacité et de rapidité « d’aller directement aux lignes téléphoniques des journalistes » auteurs de l’article en question, et non, comme à l’habitude, de commencer par les investigations préalables sur les fonctionnaires de police liées à la perquisition relatée dans l’article.
Il n’a pas eu, ni avec Mme Daubigney, ni avec M. Bard, une quelconque réflexion juridique particulière concernant les modalités procédurales de cette enquête et il n’a pas été envisagé d’accompagner les réquisitions écrites d’enquête adressées à l’IGS d’explications ou de recommandations particulières touchant aux règles entourant les mises en cause de journalistes. M. Courroye considère que « les réquisitions visaient le texte adéquat et il appartenait aux enquêteurs de s’y conformer. »
Après son entretien avec M. Bard, l’adjoint de ce dernier, M. Jacquème, lui a téléphoné pour lui dire qu’il commençait l’enquête par la recherche des numéros des lignes téléphoniques professionnelles et personnelles des deux journalistes.
M. Courroye précise qu’il n’a pas décidé d’un suivi particulier de cette affaire.
Le 30 septembre 2010, alors qu’il se trouvait en Suisse pour l’exécution d’une demande d’entraide pénale, Mme Daubigney lui a téléphoné pour lui rendre compte des informations que venaient de lui donner M. Jacquème, à savoir l’identification des numéros de téléphone des deux journalistes et la collecte en cours sur ces lignes des appels entrants et sortants ainsi que des SMS échangés pendant la période visée par les réquisitions. Il a été de même informé de l’existence pendant la même période d’une cinquantaine de SMS échangés sur leurs lignes téléphoniques entre M. Follorou et Mme Prévost-Desprez outre plusieurs communications vocales.
Il a été convenu de demander aux policiers, à titre prospectif et de façon générale, sans lien particulier avec « l’affaire Bettencourt », de s’assurer s’il était techniquement possible auprès des opérateurs de téléphonie d’accéder au contenu des SMS échangés par leurs clients.
M. Courroye a expliqué que la collecte ainsi réalisée de la facturation détaillée des lignes des journalistes n’avait pas évoqué en lui des interrogations juridiques particulières autres que celles touchant aux conséquences procédurales de la mise en cause d’un magistrat du ressort, à savoir Mme Prévost-Desprez.
Une fois la vérification technique effectuée, laquelle se concluait par la négative, la procédure a été clôturée par la police et lui a été retournée conformément à ses instructions.
Il a alors préparé un bref rapport au procureur général pour demander le dessaisissement de son parquet, en application de l’article 43 du code de procédure pénale. Ce n’est que peu après que Mme Daubigney, examinant les pièces de la procédure, a découvert l’existence d’un procès-verbal relatant des instructions données par elle aux enquêteurs aux fins d’obtenir auprès de l’opérateur de téléphonie le contenu des SMS échangés entre M. Follorou et Mme Prévost-Desprez. Mme Daubigney contestant avoir donné ces instructions, M. Courroye a convoqué M. Bard à son bureau au parquet. Au cours de cette réunion, tenue le 25 octobre 2010, M. Jacquème, qui accompagnait M. Bard, a maintenu la teneur du procès-verbal ; Mme Daubigney quant à elle a maintenu n’avoir jamais donné de telles instructions mais, pour ne pas créer une situation de conflit, a dit « qu’elle n’avait pas peut-être été assez claire dans ses instructions orales ».
Madame Daubigney, « très proche » du procureur
M. Courroye a déclaré avoir tenu parfaitement informé son procureur général de l’existence de la plainte, des modalités de son traitement et des résultats de l’enquête. Le procureur général, M. Ingall-Montagnier, n’a manifesté aucune réserve sur tout cela et n’a émis aucune inquiétude procédurale quant à la régularité de l’enquête, notamment en ce qui concerne la collecte des « fadettes » des journalistes. Lorsqu’il a lui-même apporté la procédure au parquet général, le 10 octobre 2010, M. Courroye n’a pas évoqué avec son supérieur hiérarchique la difficulté liée au procès-verbal faisant état de réquisitions pour accéder au contenu des SMS échangés entre M. Follorou et Mme Prévost-Desprez car l’existence de ce procès-verbal n’avait pas encore été découverte par Mme Daubigney qui avait conservé copie du dossier.
Les témoignages recueillis
– Entendue, Mme Daubigney a, pour l’essentiel, confirmé les déclarations de son supérieur hiérarchique, M. Courroye, dont elle se dit très proche, le connaissant depuis longtemps, et ayant avec lui des « contacts directs très fréquents et sans aucun formalisme ».
Elle explique que la plainte de Me Kiejman a été considérée par elle et par M. Courroye comme une affaire banale, sans particulière importance, « s’agissant d’une fuite dans la presse comme il en existe malheureusement beaucoup d’autres. »
La saisine de l’IGS s’expliquait par le fait que « les suspicions pouvaient s’orienter vers les fonctionnaires de police qui avaient participé à cette perquisition. »
Elle explique qu’elle n’a pas eu de réflexions juridiques particulières concernant le cadre et le contenu de cette enquête, enquête qui a suivi son cours jusqu’à l’appel le 30 septembre 2010 de M. Jacquème, adjoint de M. Bard, qui l’informe de l’existence de la cinquantaine de SMS échangés entre M. Follorou et Mme Prévost-Desprez. Elle contacte alors M. Courroye, qui se trouvait en déplacement en Suisse, et ils conviennent de demander aux policiers d’interroger l’opérateur téléphonique sur la question de savoir s’il conservait le contenu des SMS passés sur son réseau. Il était demandé, une fois cette vérification technique réalisée, de retourner la procédure en l’état.
Cette demande verbale formulée par Mme Daubigney auprès de M. Jacquème, lequel n’a pas fait d’objection ou de commentaires, n’a pas été doublé par écrit.
Mme Daubigney a précisé que ce n’est qu’au moment du compte-rendu d’enquête que lui fait M. Jacquème sur la réalisation de la collecte des « fadettes » des deux journalistes, qu’elle a une forte interrogation juridique sur cette façon de procéder qui touche à la protection du secret des sources des journalistes. Elle a considéré qu’elle avait « manqué de prudence » et qu’elle aurait dû préciser aux enquêteurs le cadre et les limites de cette enquête touchant à un droit aussi complexe qu’est celui de la presse.
Sur la demande qu’elle aurait faite auprès des policiers d’accéder au contenu des SMS échangés entre le journaliste et la vice-présidente du tribunal de Nanterre, elle a contesté avec force avoir formulé cette demande, expliquant que si elle avait été amenée à dire à M. Jacquème, dans le bureau de M. Courroye, qu’elle n’avait pas peut-être été assez claire ou qu’elle s’était mal exprimée lors de sa demande de vérifications techniques, c’était pour clore le débat de façon courtoise et non conflictuelle.
Marie-Aimée Gaspari, en « réelle proximité » avec le procureur
– Entendue, Mme Gaspari, vice-procureur au parquet de Nanterre, chargée des affaires financières et qui se décrit comme étant en « réelle proximité » avec M. Courroye et Mme Daubigney, a déclaré avoir été témoin des conversations téléphoniques échangées depuis son bureau d’une part, entre Mme Daubigney et M. Jacquème, et d’autre part, Mme Daubigney et M. Courroye.
Pour Mme Gaspari, Mme Daubigney a été « parfaitement claire » dans les instructions qu’elle a données à M. Jacquème ; seule la vérification de la faisabilité technique de l’accès au contenu des SMS sur un plan général a été demandée, en aucun cas n’a été demandé l’accès effectif au contenu des SMS échangés entre M. Follorou et Mme Prévost-Desprez.
– MM. Ingall-Montagnier, procureur général près la cour d’appel de Versailles et Zanoto, avocat général près ladite cour, ont été entendus.
M. Ingall-Montagnier a déclaré que c’est par rapport daté du 6 septembre 2010 et reçu le 9 septembre 2010, que M. Courroye l’a informé de la plainte de Mme Liliane Bettencourt et de l’enquête ordonnée, et ce sans précision particulières sauf quant à la saisine de l’IGS pour conduire cette enquête préliminaire.
Pour le procureur général, la saisine de ce service laissait présumer que l’enquête allait s’attacher aux vérifications d’usage auprès des policiers ayant participé à la perquisition relatée dans l’article du journal Le Monde.
Le procureur général n’a reçu sur cette affaire aucun appel téléphonique de M. Courroye jusqu’au 9 octobre 2010, date à laquelle ce dernier l’a appelé pour lui faire part de l’existence de nombreux SMS échangés entre M. Courroye (lapsus : Follorou, en réalité) et Mme Prévost-Desprez et de la nécessité, dès lors, de dessaisir son parquet du fait de la mise en cause possible de la magistrate.
A aucun moment, ni lors de l’appel téléphonique, ni lors de la remise du dossier d’enquête au parquet général, M. Courroye ne l’a informé de la difficulté tenant à l’existence du procès-verbal de police relatant les instructions verbales données quant à l’accès au contenu des SMS échangés entre M. Follorou et Mme Prévost-Desprez ; ce n’est que plus tard, M. Zanoto ayant étudié le dossier, qu’ils ont eu connaissance de ce procès-verbal.
Le procureur général rend compte à la chancellerie
Le procureur général a alors rendu compte à la chancellerie des développements de cette affaire en s’interrogeant sur la régularité juridique des actes de l’enquête ayant consisté à collecter les factures détaillées des lignes téléphoniques des journalistes auteurs de l’article en cause, actes par lesquels le parquet général qui les découvrait n’avait pas été préalablement consulté et qui créaient « un problème juridique sérieux ».
M. Zanoto a confirmé les explications données par son procureur général, ajoutant que « si le parquet général avait été consulté en temps utile, il n’aurait jamais donné son aval à de telles investigations… »
– M. Bard, chef de l’IGS, a été entendu.
Il a expliqué que M. Courroye lui avait téléphoné le 3 septembre 2010 pour l’informer de la saisine de son service et qu’il souhaitait que l’enquête « aille vite » ; partant en vacances, il avait confié la suite de cette enquête à son adjoint, M. Jacquème, lequel avait téléphoné à M. Courroye dès réception des réquisitions écrites d’enquête. Le procureur avait donné des instructions à son adjoint « de procéder directement à des investigations techniques relatives aux lignes téléphoniques des deux journalistes » ; M. Jacquème s’était étonné après du magistrat de cette façon inhabituelle de procéder pour débuter l’enquête, « l’usage étant de commencer les investigations portant sur les fonctionnaires de police, puis, au besoin, de remonter sur les autres personnes, et pas l’inverse ». M. Courroye avait maintenu fermement ses instructions. Aucune instruction particulière touchant aux aspects procéduraux de l’enquête n’a été donnée par M. Courroye.
Le 28 septembre 2010, ce que conteste M. Courroye, ce dernier lui a téléphoné sur sa ligne mobile pour lui demander, sur un plan général, s’il était possible d’obtenir des opérateurs téléphoniques le contenu des SMS échangés par leurs clients. Il a relayé cette demande à son adjoint M. Jacquème. Ce dernier, le 30 septembre 2010, l’a contacté pour l’informer qu’il avait eu un contact téléphonique avec Mme Daubigney, laquelle lui avait demandé d’obtenir auprès de l’opérateur de téléphonie le contenu des SMS qui avaient été échangés sur les lignes de M. Follorou et de Mme Prévost-Desprez. L’IGS s’est exécutée et l’opérateur a répondu par la négative, disant que techniquement la demande était irréalisable. Informé de cela par M. Jacquème, M. Courroye avait demandé le rapatriement de la procédure en l’était, ce qui a été fait.
Le procès-verbal « gênant »
Quelques jours plus tard, M. Courroye lui a demandé de venir à son bureau avec M. Jacquème ; lors de cet entretien, auquel assistait Mme Daubigney, M. Courroye a fait part de ce que la présence dans la procédure d’un procès-verbal relatant les instructions qu’auraient données Mme Daubigney quant à l’accès au contenu des SMS échangés entre le journaliste et la vice-présidente était « gênant » et qu’il ne concevait pas que son adjointe ait pu donner de telles instructions. M. Jacquème a répondu très fermement en disant qu’il avait acté en procédure les instructions « parfaitement claires et non équivoques » de Mme Daubigney ; cette dernière a répondu que les instructions qu’elle avait données « n’avaient, peut-être, pas été claires ». L’entretien en est resté là.
M. Bard a tenu à dire que la mise en œuvre des dispositions combinées de l’article 77-1-1 du code de procédure pénale et de l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 modifié par la loi du 4 janvier 2010 était, à cette époque-là, « quelque chose de nouveau et de délicat sur la plan juridique. Aussi nous étions dans une situation de grande confiance vis-à-vis du procureur pour garantir la régularité des opérations qu’il nous demandait. »
– Entendu, M. Jacquème a confirmé les déclarations de son chef de service. Il a expliqué qu’il avait contacté M. Courroye pour définir avec lui les modalités de l’enquête ; il avait à cette occasion dit au procureur que son service allait commencer, comme cela est l’usage, par l’audition des policiers présents ou informés de la perquisition, afin de clarifier le cheminement des procès-verbaux en cause, cette méthode ayant l’avantage d’envisager tout de suite les possibilités de fuite au sein de la police. M. Courroye lui a répondu de ne pas procéder ainsi mais « de travailler tout de suite sur les deux journalistes en cause, en recherchant leurs numéros de lignes téléphoniques fixes et mobiles, professionnels comme personnelles, et ensuite de demander aux opérateurs téléphoniques les facturations détaillées. »
Les réserves de la police
Malgré les réserves qu’il a formulées au procureur sur ces réquisitions et sur le choix de son service, s’agissant d’une affaire de presse qui normalement était de la compétence à la préfecture de police de Paris de la brigade spécialisée en matière de presse, M. Courroye a maintenu ses instructions et dit qu’il souhaitait être tenu personnellement informé ; M. Jacquème ajoutait, « J’ai compris que, contrairement aux terme du soit-transmis, M. Courroye était le directeur de l’enquête, Mme Daubigney l’assistant ».
Aucune précision ou indication particulière n’a été donnée par M. Courroye sur les aspects juridiques de la procédure à suivre, le seul souci de M. Courroye était « de faire au plus vite les fadettes des journalistes ».
M. Jacquème a ajouté « sur la régularité de l’enquête, je n’ai pas eu d’interrogation particulière dans la mesure où tout naturellement, je faisais la plus grande confiance à M. Courroye, procureur de la République d’un parquet très important. »
M. Jacquème a précisé qu’il avait régulièrement tenu informé de la progression de l’enquête M. Courroye, ou en son absence Mme Daubigney. De même, il tenait informé de l’évolution de l’enquête M. Bard, lequel, pense-t-il, a informé directement M. Courroye de l’existence des nombreux SMS échangés entre M. Follorou et Mme Prévost-Desprez.
M. Jacquème a déclaré que le 28 septembre 2010, M. Bard l’avait appelé pour lui dire que M. Courroye venait de lui demander s’il était techniquement possible, sur un plan général, d’obtenir auprès des opérateurs le contenu des SMS échangés par leurs clients. M. Jacquème et M. Bard avaient alors convenu que la réponse serait négative.
Le 30 septembre 2010, alors qu’il rendait compte à Mme Daubigney de l’état de l’enquête et de la collecte des SMS susvisés, cette dernière lui avait demandé à son tour si l’accès au contenu des SMS était possible ; malgré sa réponse négative, Mme Daubigney l’a rappelé pour lui dire, après avoir contacté le procureur, de demander par la voie de réquisitions à l’opérateur de téléphonie le contenu de ces SMS.
Sans surprise, l’opérateur avait répondu par la négative. Informé de cela, M. Courroye a demandé la clôture et le retour de l’enquête.
Le 25 octobre 2010, M. Jacquème a accompagné M. Bard au bureau de M. Courroye, lequel leur a dit qu’ « il y avait un problème dans la procédure, à savoir que le contenu des SMS avait été demandé », considérant que Mme Daubigney n’avait pas pu donner de telles instructions. M. Jacquème a fermement maintenu les termes de son procès-verbal ; Mme Daubigney a alors convenu « qu’elle n’avait peut-être pas été assez claire dans ses instructions. »
– M. Nieto, commandant de police à l’IGS, officier de police judiciaire ayant diligenté l’enquête en cause a été entendu.
Il a expliqué avoir été saisi de cette enquête par son supérieur, M. Jacquème, lequel lui a dit que le procureur souhaitait que « l’enquête aille rapidement et qu’elle porte tout de suite, sans autre acte préalable, aux investigations techniques sur les téléphones des journalistes en cause ».
M. Nieto a précisé qu’il n’avait eu de sa hiérarchie ou du parquet « aucune précision, commentaire, ou mise en garde quant aux spécificités procédurales du droit de la presse » ; il avait donc, visant les dispositions de l’article 77-1-1 du code de procédure pénale, procédé à l’identification des numéros de téléphone des journalistes puis à la collecte des facturations détaillées de ces lignes téléphoniques.
M. Nieto a déclaré que c’est après la découvertes de nombreux SMS échangés entre M. Follorou et Mme Prévost-Desprez que M. Jacquème était venu le voir une première fois pour lui demander s’il était techniquement possible d’accéder au contenu des SMS ; quelques jours après il était revenu et lui avait fait état des instructions de Mme Daubigney d’accéder au contenu desdits SMS. Comme prévu, l’opérateur (la société Orange) avait répondu par la négative.
Plus tard, M. Nieto avait appris que M. Courroye contestait la demande par son parquet d’un tel acte, mais que Mme Daubigney « avait fini par convenir que ses instructions n’avaient peut-être été pas assez claires. »
Synthèse de divers éléments recueillis et observation du rapporteur sur l’existence d’une faute disciplinaire
De l’ensemble de ces auditions, il peut être retenu pour ce qui est de la participation de M. Courroye au faits reprochés (premier grief) dans la présente procédure disciplinaire :
– M. Courroye a suivi personnellement l’enquête dont il avait décidé du principe, Mme Daubigney n’ayant pris aucune initiative sans l’accord de son supérieur hiérarchique,
– M Courroye a expressément souhaité que l’enquête qu’il a ordonnée se déroule rapidement et que les investigations portent directement sur les deux journalistes signataires de l’article en cause, sans autre acte d’enquête préalable,
– M. Courroye a demandé sans la moindre équivoque aux enquêteurs d’identifier les numéros de téléphone fixe et mobile, personnel et professionnel des deux journalistes, puis de collecter les facturations détaillées de ces lignes pour identifier tous les appels entrants et sortants sur ces lignes,
– Cette démarche avait pour but évident d’identifier la ou les sources des deux journalistes, ainsi renseignés sur les actes en cours dans le cadre de l’exécution d’une commission rogatoire délivrée par une juridiction judiciaire ; M. Courroye ne pouvait dès lors ignorer que les « vérifications techniques » réalisées ainsi à sa demande étaient susceptibles de constituer l’atteinte directe ou indirecte au secret des sources des journalistes, prohibée par l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 modifiée par la loi du 4 janvier 2010.
Il en a, d’une certaine façon, convenu en déclarant lors de son audition par le rapporteur :
– « Aujourd’hui, à la réflexion, je pense qu’il aurait été plus prudent de ma part de bien préciser aux enquêteurs le cadre juridique de l’enquête, avec toutes les subtilités découlant de la mise en œuvre croisée des dispositions de l’article 77-1-1 et de la loi sur la presse, textes qui à certains égards me paraissent contradictoires. Si je n’ai pas eu cette réflexion de prudence et de pédagogie à l’égard des enquêteurs, c’est aucunement par calcul mais tout simplement parce qu’à l’époque je n’étais peut-être pas suffisamment sensibilité à ces textes nouveaux et que j’ai été pris par le « train » des affaires importantes à suivre dans ce parquet et des multiples et lourds suggestions (sujétions en fait) auxquelles j’avais à faire face ».
Ou encore :
-« D’une part, la violation d’une garantie essentielle des droits des parties n’est pas évidente dans les faits qui me sont reprochés. Si l’ont peut considérer in abstracto que le secret des sources des journalistes est une garantie essentielle des droits des parties, dans le cas qui me concerne la réalité de la violation pouvait prêter à discussion et à interprétation, jusqu’à ce que la Cour de cassation statue. Je rappelle en effet qu’en 2010 le cadre juridique entourant le secret des sources des journalistes était nouveau, assez complexe et combinant divers textes contradictoires entre eux sur certains points. Par ailleurs, la jurisprudence était quasiment inexistante.
– D’autre par, si violation il y a eu, et au vu de la décision de la Cour de cassation, je ne peux qu’accepter le principe de cette violation, il n’y a eu de ma part à aucun moment une quelconque volonté malveillante ou un désir de contourner la loi. En clair, cette violation n’étaient en rien délibérée mais bien involontaire et participait peut-être d’une interprétation erronée de l’exception prévue par les textes au principe qu’ils posent de la protection des sources des journalistes ».
Méconnaissance d’une jurisprudence foisonnante
Ce renvoi à une méconnaissance de la jurisprudence, particulièrement de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, foisonnante, constante, et clairement positionnée, comme cela a été exposé précédemment, en matière de protection du secret des sources des journalistes, peut surprendre de la part d’un magistrat, chef de juridiction à la tête de l’un des plus grands parquet de France, magistrat dont tous les notateurs antérieurs ont loué la vivacité et l’intelligence, la solidité de ses connaissances juridiques, son sens inné de l’application du droit, l’expérience des dossiers pénaux complexes et des contentieux « sensibles ».
Cette connaissance imparfaite qu’il revendique du droit actuel de la presse et de la jurisprudence sur le secret des sources journalistiques ne manque pas de surprendre quand on sait que M. Courroye est à la tête du parquet de Nanterre avait eu à connaître, à deux reprises, des affaires non négligeables, suivies à ce parquet en matière de droit de la presse ;
– d’une part, comme cela a été évoqué précédemment, il était en poste à Nanterre alors que l’affaire dite Cofidis était en cours été connaissait de nombreuses péripéties judiciaires, abondamment médiatisées, liées notamment à la question de la violation du secret des sources des journalistes, cette affaire connaissant son terme final en mai 2010,
– d’autre part, il sera relevé à la lecture d’un arrêt de la chambre de l’instruction de Paris (pôle 7 – chambre 4) en date du 24 février 2012, déjà cité, que cette juridiction a été amenée à annuler des pièces d’une procédure d’information ouverte sur la base d’une enquête préliminaire conduite par l’IGS dans le cadre de laquelle le parquet de Nanterre avait, au mois d’avril 2010, soit avant la présente affaire, autorisé les services de police à requérir d’un opérateur de téléphonie mobile les « fadettes » d’un journaliste (Romain Bolzinger, journaliste à Canal +) dans des conditions jugées illégales, lesdites réquisitions n’étant pas indispensables à la manifestation de la vérité, et portant atteinte au secret des sources du journaliste.
M. Courroye ne saurait sérieusement soutenir qu’il ignorait l’état du droit
Dès lors, M. Courroye ne saurait sérieusement soutenir qu’il ignorait l’état du droit et de la jurisprudence sur la question du secret de sources des journalistes. Par ailleurs, il n’a pas pu ne pas prendre connaissance de la circulaire susmentionnée de la DACG diffusée aux parquet sitôt la loi du 4 janvier 2010.
Si cette circulaire n’est pas sans susciter des interrogations quant à sa confrontation avec la jurisprudence qui se développera ultérieurement sur cette question, elle ne met pas moins en vigilance les parquets sur l’impérieux rappel du secret des sources des journalistes qui ne doit souffrir d’exception que dans des hypothèses bien limitées. M. Courroye devait donc, en ayant pris connaissance de cette circulaire de l’administration centrale, traiter avec la plus grande circonspection, sans précipitation et en se donnant le temps de réflexion, ce type d’affaire.
Il ne pouvait pas ignorer les deux conditions impératives posées par l’article 2 de la loi sur la presse et rappelées très clairement dans la circulaire d’application, pour qu’il puisse exceptionnellement être porté atteinte au principe du secret des sources, à savoir :
– qu’un impératif prépondérant d’intérêt public le justifie,
– que les mesures envisagées soient strictement nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi.
S’il pouvait considérer, au regard de la décision (susvisée) de la cour d’appel de Paris en date du 17 juin 2010 et qu’il ne manque pas d’invoquer, que la première condition était remplie, s’agissant de la recherche des auteurs d’une infraction à la loi pénale commise dans un contexte d’une affaire largement médiatisée sur le plan national et dans laquelle diverses personnalités du monde politique étaient citées, en ce qui concerne la deuxième condition, elle n’était pas à l’évidence remplie, puisque sur la plainte d’un particulier, sans demander au service de police saisi la moindre vérification autre que la recherche des « fadettes » des journalistes, sans faire procéder aux investigations d’usage à savoir celles portant dans un premier temps sur les fonctionnaires de police, dont la présence dans les actes publiés par la presse en violation du secret de l’enquête ou de l’instruction avait pourtant, à ses propres dires, justifié la saisine de l’IGS, M. Courroye a expressément souhaité que les policiers aillent « vite et directement aux fadettes des journalistes » ; dès lors, les conditions de nécessité et de proportionnalité, posées par la loi sur la presse, ne sauraient être réunies en l’espèce.
Le manquement par un magistrat aux devoirs de son état tel que visé par l’alinéa 2 de l’article 43 de l’ordonnance statutaire, modifié par la loi organique du 22 juillet 2010, n’a pas fait l’objet à la date du présent rapport de décision disciplinaire rendue par le CSM. Il peut être cependant évoqué une décision de l’instance disciplinaire compétente pour la discipline des magistrats du siège du 24 avril 2009 (n° S 166), antérieure à la loi organique susvisée, qui considère comme caractérisant une faute disciplinaire la violation grossière des règles de procédure :
« Attendu qu’en vertu de l’indépendance des magistrats du siège garantie par la Constitution, leurs décisions juridictionnelles ne peuvent être critiquées, dans les motifs et dans le dispositif qu’elles comportent, que par le seul exercice des voies de recours prévues par la loi ; que, dès lors, ceux des actes d’information du juge d’instruction qui ont une nature juridictionnelle échappent à l’examen de la formation disciplinaire ; que toutefois, ce principe rencontre la limite que le Conseil constitutionnel a rappelée dans sa décision n°2007-551 DC du 1er mars 2007, tenant à la constatation préalable aux poursuites disciplinaires d’un manquement, par une décision de justice devenue définitive ; qu’au surplus, lorsqu’un juge a, de façon grossière et systématique, outrepassé sa compétence ou méconnu le cadre de sa saisine, de sorte qu’il n’a accompli, malgré les apparences, qu’un acte étranger à toute activité juridictionnelle, des poursuites disciplinaires peuvent être engagées ».
Dans les décisions disciplinaires que le Conseil supérieur de la magistrature a rendu dans des saisines pour des manquements aux devoirs liés à l’état de magistrat, l’instance disciplinaire a considéré que ces derniers devoirs se déclinaient, notamment, par l’obligation d’assumer ses fonctions. Le CSM a, ainsi, pu caractériser la faute disciplinaire par le fait qu’un magistrat abandonne ses prérogatives de magistrat à un fonctionnaire, que ce soit un fonctionnaire de justice (greffier en chef notamment) ou à un fonctionnaire de police ou un militaire de la gendarmerie.
Responsable du fonctionnement de son parquet, le procureur de la République dispose de prérogatives propres qu’il doit exercer. Le Conseil a sanctionné les hypothèses dans lesquelles le procureur « a abandonné ses prérogatives de procureur de la République que la loi lui faisait l’obligation d’assurer personnellement » (CSM parquet – 3 avril 1995, p. 27).
Il s’agissait en l’espèce de la direction de la police judiciaire, de l’orientation et du suivi des enquêtes pénales ; le CSM a considéré comme caractérisant une faute disciplinaire le fait pour une procureur de la République de n’avoir pas « exercé auprès des officiers de police judiciaire son rôle de conseil lors de la mise en place de réformes, et de direction, ne contrôlant pas par exemple les prolongations de garde à vue ou ne suivant pas de près le déroulement de l’enquête consécutive à la profanation d’un cimetière ».
La direction de la police judiciaire est donc vue dans la jurisprudence du Conseil comme l’un des aspects essentiels de l’autorité et du crédit de la fonction de procureur de la République (CSM parquet 11 juillet 2007 – PO56 et 18 juillet 2208 – P058).
Dans une décision du 18 juillet 2008 (P058 susvisée), la formation disciplinaire du CSM compétente pour les magistrats du parquet a été amenée à apprécier le comportement d’un procureur de la République qui, par « soit-transmis », saisi un service de police judiciaire d’une enquête sur des faits d’agressions sexuelles mutiles commises sur plusieurs mineurs sans donner la moindre précision sur les investigations à conduire, ni directives quant à leur cadre procédural.
Si le CSM dans cette affaire ne relève pas la faute disciplinaire découlant de la négligence professionnelle du magistrat, ce n’est que parce que ce dernier avait antérieurement donné aux services concernés des instructions générales quant aux modalités d’audition des mineurs victimes de violences ou d’abus sexuels et qu’en outre, le Conseil a constaté « la réalité d’une concertation entre le parquet et le service enquêteur », le substitut ayant appelé l’attention des enquêteurs sur différents aspects de la complexité de l’affaire.
C’est, cependant, le concept « d’abandon d’enquête » par le parquet, parquet qui n’exerce pas véritablement son pouvoir et son devoir de direction de la police judiciaire, qui est ainsi dégagé et condamné par le CSM.
Un abandon d’enquête ?
Il appartiendra au Conseil, dans la présente affaire, d’apprécier et de dire si le comportement de M. Courroye, dans le cadre général qui lui est reproché de la violation du secret des sources des journalistes, ne caractérise pas un abandon de ses prérogatives de procureur de la République, consistant en un « abandon d’enquête », puisque les fonctionnaires de police de l’IGS ont été saisis par un soit-transmis des plus laconiques, se limitant au seul visa de l’article 77-1-1 du code de procédure pénale, d’une enquête délicate par nature, comme touchant à l’activité de journalistes et à la mise en œuvre de textes issus de réformes législatives récentes dans un domaine juridique complexe.
La spécificité de cette affaire aurait justifié que le procureur accompagne ses réquisitions écrites d’échanges avec les enquêteurs pour attirer leur attention et les éclairer sur les aspects juridiques.
Enfin, et toujours dans l’appréciation de ce grief d’une violation grave et délibérée d’une règle de procédure constituant une garantie essentielle des droits des parties, il y a lieu de considérer dans la réalisation matérielle de cette violation, l’aspect, qui n’est pas neutre, de l’absence de comptes rendus complets, suivis et faits en temps utile du procureur de la République à son procureur général dans le cadre du lien hiérarchique qui les unit statutairement et fonctionnellement et de l’obligation de loyauté qui doit être celle d’un procureur de la République tenu de donner au procureur général près la cour d’appel pour les affaires individuelles qui le justifient une information complète et actualisée (article 5 de l’ordonnance statutaire, articles 35 et 36 du code de procédure pénale).
En effet, l’alinéa 3 de l’article 43 de l’ordonnance statutaire modifié par la loi organique du 22 juillet 2010, précise que « la faute s’apprécie pour un membre du parquet ou d’un magistrat du cadre de l’administration centrale de la justice compte tenu des obligations qui découlent de sa subordination hiérarchique. »
Si de tels comptes rendus, notamment sous la forme de rapports administratifs avaient existé, on peut raisonnablement envisager que le parquet général, informé en temps utile, voire consulté préalablement sur les mesures envisagées, aurait pu enrichir la réflexion de M. Courroye sur ses analyses, en particulier sur la régularité juridique des réquisitions en cause, délivrées sans vérifications préalables et autres actes d’enquête.
C’est en ce sens que le CSM parquet a statué dans l’avis précité du 18 juillet 2008 (P58) : « Si le principe hiérarchique, inscrit à l’article 5 de l’ordonnance précitée, sur lequel est fondée l’organisation statutaire du ministère public et auquel tout magistrat du parquet est soumis, confère à l’autorité supérieure le pouvoir de donner des instructions, il est également, pour cette dernière, source d’obligations, dont celles de vérifier et valider les informations reçues et transmises. »
Remis au rapporteur par le procureur général, ont été versés au dossier de la procédure disciplinaire, en tout et pour tout, deux rapports administratifs que M. Courroye a envoyé au parquet général de Versailles : l’un en date du 6 septembre 2010, reçu au parquet général le 9 septembre 2010, par lequel M. Courroye l’informait de la plainte déposée le 1er septembre par Me Kiejman et de la suite qu’il a donnée à cette plainte, l’autre en date du 11 octobre 2010 par lequel M. Courroye donnait connaissance des résultats de l’enquête qu’il avait fait effectuer, de la découverte de nombreux SMS échangés entre un journaliste et la vice-présidente du TGI de Nanterre et en conséquence de la nécessité qu’il y avait de mettre en œuvre les dispositions de l’article 43 alinéa 2 du code de procédure pénale.
Parmi de très nombreuses pièces (copies de courriers ou de messages électroniques) déposées par M. Courroye dans le présent dossier disciplinaire pour justifier de l’information régulière qu’il affirme avoir donné au parquet général de Versailles dans le cadre des procédures liées à « l’affaire Bettencourt », aucune de ces pièces, hormis la copie des rapports administratifs des 6 septembre 2010 et 11 octobre 2010, ne concerne l’enquête visée dans la saisine disciplinaire.
Information lapidaire du parquet général
Il apparaît donc, malgré ses dénégations, et comme cela a été déclaré avec force par le procureur général de Versailles et son adjoint, M. Zanoto, que l’information du parquet général a été des plus réduites, voire lapidaire, incomplète et décalée dans le temps et qu’en aucun cas le procureur de la République n’avait pris l’attache du procureur général ou de ses adjoints pour s’assurer du bien-fondés et de la régularité procédurale de ses décisions.
Il appartiendra au Conseil d’apprécier si la réalisation de la faute disciplinaire qui est reprochée à M. Courroye du fait de la violation, constatée par une décision de justice devenue définitive, du secret des sources des journalistes, secret des sources qui constituait pour ces derniers, visés par une enquête pénale, une garantie essentielle de leurs droits, n’a pas participé, entre autres causes, du non-respect de l’obligation de loyauté qui incombe à tout magistrat, tout particulièrement aux magistrats du parquet dans le cadre de la subordination hiérarchique à laquelle ils sont astreints de par l’article 5 de l’ordonnance statutaire.
Le devoir de loyauté implique les magistrats entre-eux mais plus encore les magistrats du parquet vis-à-vis de leurs supérieurs hiérarchiques. Une exigence spécifique d’information de sa hiérarchie pèse sur le procureur de la République ; comme cela vient d’être dit, elle découle de la relation hiérarchique dans laquelle s’inscrit l’action du procureur de la République.
Dans son avis du 11 juillet 2007 (P56), statuant sur le grief tiré de l’absence de réponse ou de communication d’informations inexactes au parquet général, et l’absence de signalement de certains événements en dépit de leur caractère exceptionnel, le Conseil juge que « ces comportements constituent (…) un défaut de discernement, une violation des devoirs de son état de procureur de la République et un manquement au devoir de loyauté envers sa hiérarchie imposé par son statut de magistrat du parquet. »
De même dans son avis du 18 juillet 2008 (P58), précité, statuant sur le grief tiré de la présentation dans des rapports administratifs adressés au parquet général de faits ne correspondant pas aux éléments figurant au dossier, le Conseil a jugé que « la présentation péremptoire, parcellaire et réitérée de faits ne rendant pas compte du contenu réel du dossier traduit, en effet, en dépit de l’absence de réaction de la hiérarchie du ministère public, un manquement au devoir de rigueur qu’impose l’état de magistrat et, tout particulièrement, celui de chef de parquet » ;
L’effet « dévastateur » des fadettes
Il convient enfin de souligner que MM. Davet et Follorou, entendu, se sont longuement expliqués sur l’étendue du préjudice personnel et professionnel qualifié de « dévastateur » qui a découlé des investigations ordonnées par M. Courroye sur leurs lignes téléphoniques. Ils ont ainsi fait état du fait que leur vie privée et celle de leur famille, épouse et enfants, a été « fouillée », leurs comptes bancaires identifiés, leur réseau de collègues journalistes avec qui ils travaillaient mis à jour, leurs sources d’information, aussitôt et durablement taries…
Mme Nougayrède, directrice du journal Le Monde, a conclu son audition en déclarant que pour elle et « pour toute l’équipe du journal, cette affaire est emblématique ; c’est par une vigilance de tous les instants face à toutes les atteintes potentielles à la liberté de la presse qu’ (ils) garantissent pour l’avenir l’existence d’une presse libre et indépendante en mesure de remplir sa mission dans une démocratie. »
DEUXIÈME GRIEF
Ce grief a trait aux pressions qu’auraient exercées M. Courroye sur les fonctionnaires de police de l’IGS à deux occasions.
La tentative d’accès au contenu des SMS
Tout d’abord, il est reproché à M. Courroye, informé par Mme Daubigney et, selon ses dires, par un article de presse paru, peu avant, dans le journal Le Monde, de l’existence en procédure d’un procès-verbal faisant état d’instructions données par son parquet pour accéder au contenu des SMS échangés entre M. Davet (en fait M. Follorou) et Mme Prévost-Desprez, d’avoir convoqué les enquêteurs à son bureau le 25 octobre 2010 pour leur signifier que ni lui ni son adjointe, Mme Daubigney, ne leur avaient demandé un tel acte. Les plaignants qualifient cette démarche de « pression » : si ces pressions étaient avérées, elles pourraient caractériser de la part du procureur de la République qui en est l’auteur un manquement avéré aux devoirs de son état, notamment quant aux obligations de loyauté et d’équité.
(M. Courroye fait nécessairement erreur: Le Monde fait pour la première fois état de la demande du parquet de Nanterre d’accéder au contenu des SMS dans son édition du 6 décembre 2011, soit quatorze mois après la convocation des enquêteurs de l’IGS en octobre 2010. NDLR)
Le présent rapport dans ses développements touchant au premier grief, a suffisamment précisé sans qu’il ne soit besoin d’y revenir, qu’elles étaient les positions des différents protagonistes sur les faits reprochés. En synthèse, il sera rappelé que le procureur Courroye n’a cessé d’affirmer qu’il n’avait jamais demandé directement ou indirectement que de telles réquisitions soient données aux policiers. Ces derniers, du chef de service à l’officier de police judiciaire, en passant par l’adjoint du chef de service destinataire direct de ces instructions, en ont formellement et fermement maintenu l’existence, existence, au demeurant, consignée dans un procès-verbal établi par un officier de police judiciaire, et faisait foi jusqu’à preuve contraire rapportée par écrit ou par témoins (article 489 et suivants du code de procédure pénale).
Mme Daubigney, désignée par tous pour être celle qui avait eu au téléphone, le 30 septembre 2010, M. Jacquème, entretien au cours duquel les instructions litigieuses auraient été données, a toujours nié les avoir données mais a concédé qu’ « elle n’avait peut-être pas été assez claire » dans la formulation de ses instructions.
Avait-il connaissance de l’existence des SMS ?
L’enquête à laquelle le rapporteur a procédé n’a pas permis d’aller plus loin dans l’éclaircissement de cette contradiction, ainsi peut-on considérer en l’état des déclarations aussi frontalement opposées et en l’absence de tout élément objectif permettant d’accréditer les unes ou les autres, qu’il n’est pas établi, en l’état du rapport, la réalité de cette demande formulée par le parquet d’accéder au contenu des SMS, sauf à considérer comme militant dans le sens des affirmations des policiers, la déclaration de M. Bard faisant état d’un appel qu’il aurait reçu dès le 28 septembre de M. Courroye, lequel lui aurait demandé, certes de façon générale, s’il était possible techniquement d’accéder auprès des opérateurs de téléphonie au contenu des SMS échangés par les clients, ce qui permettrait de penser d’une part, que M. Courroye à cette date avait connaissance de l’existence des SMS échangés entre le journaliste et la magistrate, alors que M. Courroye a prétendu n’en avoir eu connaissance que le 30 septembre à l’occasion de l’appel de Mme Daubigney reçu en Suisse où il se trouvait, et d’autre part, que lors de la remise de l’enquête au procureur général de Versailles, le 10 octobre 2010, il a totalement passé sous silence ces aspects non négligeables de l’enquête, à savoir sa demande sur la possibilité technique d’accéder au contenu des SMS et la réponse négative rapportée peu après par les policiers.
Aussi, dans le doute qui doit être retenu sur le fait que M. Courroye ait pu donner de telles instructions, la convocation à son bureau du chef de l’IGS et de son adjoint, en présence de Mme Daubigney, pour demander des explications aux policiers sur la présence en procédure du procès-verbal litigieux, peut parfaitement se comprendre.
Courroye, faisant totalement confiance comme il l’a déclaré à son adjointe, était tout à fait légitime et dans son rôle de direction de la police judiciaire à demander aux policiers des explications sur l’existence de ce procès-verbal.
La narration qui a été faite par les policiers de l’IGS de cet entretien avec M. Courroye ne l’assimile en rien à « des pressions », pressions dont d’ailleurs les policiers ne se sont jamais plaints ; M. Bard, chef de l’IGS, a même précisé que son entretien avec M. Courroye avait été « très courtois » et « s’était déroulé sans animosité, ni heurts ».
Il appartiendra au Conseil de dire si les pressions exercées sur les policiers alléguées par les plaignants sont avérées et dans l’affirmative, si elles constituent un manquement aux devoirs du magistrat caractérisant une faute disciplinaire.
Les sollicitations faites aux OPJ pour une défense commune
Les plaignants ont, par ailleurs, visé dans les pressions que M. Courroye aurait exercées sur les policiers, l’information judiciaire en cours au TGI de Paris suite à la plainte de MM. Davet, Follorou et de Mme Bacqué, journalistes, et du journal Le Monde, et dans laquelle il était mis en cause, pour inciter M. Patrick Nieto, commandant de police à l’IGS et témoin assisté dans cette procédure, à prendre lui-même l’initiative de saisir la chambre de l’instruction d’une requête en nullité de la procédure.
Les plaignants qualifient le comportement que M. Courroye, procureur de la République, a eu dans le dessein d’échapper lui-même aux poursuites pénales qui le visaient, de « faute déontologique grave », s’agissant d’« un abus de pouvoir » commis par un magistrat sur un officier de police judiciaire placé sous son autorité et d’un manquement aux obligations de loyauté et de dignité qui s’imposent à tout magistrat, particulièrement s’agissant d’un procureur de la République.
Entendu, M. Courroye a expliqué qu’en septembre 2011, il avait reçu du juge d’instruction de Paris une convocation pour mise en examen dans le cadre de l’information ouverte suite à la plainte du Monde pour violation du secret professionnel.
Suite à ses observations concernant la régularité de cette convocation pour mise en examen, eu égard aux dispositions de l’article 6-1 du code de procédure pénale, le juge avait rapporté sine die cette convocation.
M. Niéto, quant à lui avait été entendu en qualité de témoin assisté.
Aussi, il avait tenté, par les soins de ses avocats d’obtenir du juge d’instruction et du parquet général que la chambre de l’instruction de Paris soit saisie pour statuer sur cette question de la régularité de l’information ouverte au regard des dispositions de l’article 6-1 susvisé. Le juge et le parquet n’ayant pas saisi la chambre de l’instruction, il lui a paru que M. Nieto, qui avait le statut de témoin assisté, pouvait le faire.
« Approcher » le policier
Il a donc pensé « à l’approcher » par l’intermédiaire de son supérieur hiérarchique, M. Bard, pour voir s’il envisageait une telle initiative.
M. Bard lui a fait savoir, peu après, que M. Nieto ne l’envisageait pas et « l’approche » en est restée là.
Entendu, M. Bard a confirmé les déclarations de M. Courroye, expliquant avoir reçu un appel téléphonique de M. Courroye au cours duquel ce dernier lui avait demander « d’approcher » M. Nieto, mais aussi M. Jacquème qui était également témoin assisté dans l’information en cause pour savoir s’ils entendaient, en leur qualité de témoins assistés, prendre l’initiative de saisir la chambre de l’instruction d’une action en nullité de procédure.
Entendus à leur tour, MM. Jacquème et Nieto ont confirmé les déclarations de M. Bard et dit qu’ils n’avaient pas voulu engager l’action en nullité de l’information suggérée par M. Courroye, lequel ne les avait pas directement contactés mais l’avait fait par l’intermédiaire de M. Bard puis par leurs avocats respectifs.
Entendus, les plaignants, M. Davet, M. Follorou et Mme Nougayrède, directrice du journal Le Monde, ont déclaré considérer qu’en agissant comme ils l’ont fait, M. Courroye, procureur expérimenté, « à la tête de l’un des plus grands parquets de France » « a tenté d’entraver le cours normal de la justice », et ce de façon déloyale, « en faisant pression sur des OPJ placés sous son autorité à des fins strictement personnelles, totalement étrangères à la conduite de l’action publique », tenté de neutraliser la plainte avec constitution de partie civile déposée à son encontre.
Il appartiendra au Conseil de dire si une telle démarche de la part de M. Courroye, qui consiste pour un procureur de la République de solliciter d’un officier de police judiciaire placé sous son autorité qu’il apporte son concours en vue d’une défense commune dans le cadre d’une procédure pénale qui les vise tous les deux, constitue une entorse aux obligations de loyauté et de dignité de la fonction que l’on attend d’un magistrat, tout particulièrement lorsqu’il s’agit d’un chef de juridiction.
TROISIEME GRIEF
Généralités
Les plaignants, au soutien de leur plainte adressée au CSM, ont produit deux articles de presse, l’un paru dans le journal électronique « Les Echos.fr » le 28 novembre 2011, intitulé « Les vérités du juge Courroye », l’autre paru dans « Le Monde » le 28 décembre, intitulé « Affaire des fadettes : Philippe Courroye dévoile sa stratégie de défense », ainsi qu’un communiqué de presse que M. Courroye a fait paraître le 17 janvier 2012.
Les plaignants considèrent qu’au travers de ces articles, « les déclarations publiques de M. Courroye sont pour le moins inappropriées à son statut et ses fonctions » et qu’il est « difficilement acceptable de lire d’un magistrat qu’une procédure illégale ne présente aucune espèce de gravité » ; ils estiment dès lors que M. Courroye « n’a pas gardé la réserve indispensable et légitime à l’exercice de sa fonction de procureur de la République du deuxième parquet de France. »
Il sera observé pour ce qui concerne l’article du journal « Le Monde » visé par les plaignants, que l’article en cause est en fait une lettre ouverte que M. Courroye a demandé au « Monde » de publier suite à la parution dans ce même journal, le 6 décembre 2011, d’un article intitulé « Le scandale des fadettes prend de l’ampleur ».
Mme Daubigney, procureure adjointe, a eu la même initiative.
Le titrage des deux lettres ouvertes ainsi publiées, à savoir « la plainte du Monde vise des infractions infondées » pour l’une, « l’objet n’était pas d’identifier les sources des journalistes » pour l’autre, est des seuls fait et choix de la rédaction du « Monde ».
Dans sa lettre ouverte, M. Courroye livre une argumentation contraire, factuelle et juridique, en réponse aux allégations de l’article du 6 décembre 2011 qui a provoqué sa réponse. Les termes employés sont mesurés et il n’y a aucune attaque à visée personnelle ou institutionnelle.
– Pour ce qui est de l’article du journal électronique « Les echos.fr », il s’agit dans son contenu de la présentation, par la journaliste auteur de l’article, de la carrière et de la personnalité de M. Courroye, présenté comme un « Moine soldat », complétée par quelques réflexions que ce magistrat a dû confier à la journaliste qui le rencontrait et faisant état de façon imprécise et générale, et dans une expression mesurée, de « pressions et d’attaques personnelles » qu’il dit avoir subies au parquet de Nanterre.
– Enfin, le communiqué de presse, diffusé selon les plaignants le 17 janvier 2012, a été rendu public par le procureur Courroye suite à sa mise en examen devant le juge d’instruction de Paris saisi de la plainte avec constitution de partie civile du Monde, pour collecte illicite de données à caractère personnel par un moyen frauduleux, déloyal et illicite et pour violation du secret des correspondances.
Dans ce communiqué, M. Courroye fait part et rend public d’une part, le recours qu’il a exercé devant la chambre de l’instruction pour nullité des actes de procédure et d’autre part, son analyse juridique sur les qualifications pénales apportées aux faits qui lui sont reprochés, à savoir la collecte et l’exploitation des facturations détaillées de lignes téléphoniques de journalistes.
Le Monde, sans vergogne
M. Courroye, entendu, a expliqué qu’il s’agissait pour lui, par la publication de ce communiqué, « de faire une mise au point publique sur la procédure qui le visait et défendre son honneur face aux attaques quotidiennes du Monde, lequel puisait sans vergogne dans le dossier pénal d’instruction les éléments susceptibles de le mettre en cause avec une volonté manifeste de [lui] nuire ; Il se disait victime d’une campagne médiatique malveillante, orchestrée par un organe de presse qui lui manifeste « une animosité personnelle ». Il ajoutait qu’il était « tellement attaqué sur la place publique », et à travers lui « c’était le parquet de Nanterre qui était malmené », qu’il se devait de réagir pour défendre son honneur, sa dignité et l’honneur de son parquet. »
Le devoir de réserve du magistrat
Le devoir de réserve constitue pour le magistrat l’une des déclinaisons du devoir de dignité, vertu cardinale qui fonde avec l’indépendance, l’impartialité, l’honneur et la délicatesse, dans une société démocratique, l’autorité et la légitimité du magistrat.
Le devoir de réserve interdit aux juges toute critique et toute expression outrancière de nature à compromettre la confiance et le respect que leur fonction doit inspirer au justiciable.
Il s’agit incontestablement d’une limite à la liberté d’expression, qui « est un droit de l’homme dont les magistrats jouissent comme les autres », rappelle l’instance disciplinaire (commission de discipline du Parquet – 9 avril 1993 ) ;
Son but est de préserver « la dignité, l’impartialité et l’indépendance de la magistrature » (CSM Siège – 9 avril 1993), conception finaliste du devoir de réserve qui correspond à celle retenue par la Cour européenne des droits de l’homme : « On est en droit d’attendre des fonctionnaires de l’ordre judiciaire qu’ils usent de leur liberté d’expression avec retenue chaque fois que l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire sont susceptibles d’être mises en cause » (CEDH, Wille c/ Liechtenstein, 28 octobre 1999, §64).
Un tel devoir impose au magistrat de s’exprimer de façon prudente et mesurée, de s’abstenir de toute expression outrancière qui serait de nature à faire douter de son impartialité ou de porter atteinte au crédit et à l’image de l’institution judiciaire et des juges ou susceptible de donner de la justice une image dégradée ou partisane (CSM Siège – 11 juin 1996).
Les excès de langage ne sont pas les seuls à faire l’objet de poursuites disciplinaires. Les écrits infamants ou injurieux, agressifs ou excessifs sont également constitutifs de manquements au devoir de réserve et d’autant plus sévèrement sanctionnés que « leurs termes ont été nécessairement réfléchis et que leur outrance traduit une perte totale de contrôle particulièrement inquiétante de la part d’un magistrat » (CSM Siège – 2 juillet 1992).
Les chefs de Cour et de juridiction sont bien évidemment soumis à un devoir de réserve d’une particulière rigueur.
Après avoir rappelé dans une décision du 13 avril 1995 (S84) que « les prérogatives de chef de juridiction ne peuvent s’exercer que dans le calme et la sérénité qui s’imposent », le CSM a, dans une décision du 31 janvier 1995 (S82), posé pour la première fois les principes déontologiques pesant sur les chefs de juridiction :
« Attendu, selon l’article 43 de l’ordonnance de 1958 que « tout manquement par un magistrat, aux devoirs de son état, à l’honneur, à la délicatesse ou à la dignité constitue une faute disciplinaire » ; Attendu que ces termes doivent être entendus de façon particulièrement rigoureuse à l’égard d’un chef de juridiction, dont les fonctions exigent un sens parfaitement aigu de ses responsabilités propres, et à qui incombe, au premier chef, le devoir de préserver une image de l’institution judiciaire portant la marque du sérieux et de la sérénité que les justiciables sont en droit d’attendre d’elle ».
Le principe est posé à l’endroit d’un président de tribunal, qui, plus que tout autre communiqué 17 01 2012 magistrat, se doit de respecter les devoirs de sa fonction ; il vaut également et bien évidemment pour le procureur de la République.
Tous deux incarnent et représentent, à la tête du tribunal de grande instance, la juridiction dans la Cité. Ils en sont l’image et doivent ainsi, en tout cas, être exemplaires. Dans une décision du 20 septembre 2012, le CSM du Siège (S 200) a considéré « .. que les manquements relevés ci-dessus aux devoirs de dignité, de délicatesse et de réserve de tout magistrat, qui sont particulièrement incompatibles avec les obligations spécifiques incombant à un président de juridiction, qui doit, en tout, donner une image exemplaire de l’institution qu’il représente dans son ressort, sont consécutifs d’une faute disciplinaire. »
Dans une seconde décision rendue le 17 octobre 2012, le Conseil rappelle que le principe posé dans la décision précitée du 31 janvier 1995 : « Attendu que les termes de l’article 43 de l’ordonnance statutaire doivent être entendus de façon particulièrement rigoureuse à l’égard d’un chef de juridiction, dont les fonctions exigent un sens spécialement aigu de ses responsabilités propres et à qui incombe, au premier chef le devoir de préserver une image de l’institution judiciaire portant la marque du sérieux, de la sérénité et de respect d’autrui que sont en droit d’attendre les justiciables… et qui doit, en tout, donner une image exemplaire de l’institution judiciaire qu’il représente. »
Le Recueil des obligations déontologiques des magistrats élaboré par le CSM en 2010 et adressé à tous les magistrats et que M. Courroye n’a pas pu ne pas parcourir, fait de « la discrétion et de la réserve » l’une des six grandes exigences éthiques de la fonction de magistrat qui sont traitées dans cet ouvrage de référence.
Il est ainsi écrit (pages 39 et suivantes) :
« F.1 Le magistrat, membre de l’institution judiciaire, veille, par son comportement individuel, à préserver l’image de la justice.
F.2 Dans son expression publique, le magistrat fait preuve de mesure, afin de ne pas compromettre l’image d’impartialité de la justice indispensable à la confiance du public. (…)
F.4 Le magistrat, qui reste tenu d’observer ses obligations déontologiques, exerce les droits légitimement reconnus à tout citoyen. (…)
F.6 Le devoir de réserve, qui résulte d’une disposition statutaire, est le même pour les magistrats du siège et pour ceux du parquet. Si les articles 5 du statut de la magistrature et 33 du Code de procédure pénale permettent au magistrat du parquet d’exprimer publiquement à l’audience une position personnelle, cette prise de parole doit être formulée dans des termes propres à ne pas nuire à la dignité de la fonction de magistrat.
F.7 Le magistrat ne commente pas ses propres décisions qui, par leur motivation, doivent se suffire à elles-mêmes. Il ne critique pas, même à l’intérieur de la juridiction, les décisions juridictionnelles de ses collègues dont l’analyse relève de l’exercice normal des voies de recours.
F.8 Le magistrat respecte la confidentialité des débats judiciaires et des procédures évoquées devant lui ; il ne divulgue pas les informations dont il a eu connaissance, même sous forme anonyme ou anecdotique.
F.9 L’obligation de réserve n’exclut pas l’intervention de la hiérarchie judiciaire lorsqu’un magistrat est injustement mis en cause, notamment dans les médias.
F.10 La justice et les juridictions disposent d’outils de communication institutionnels et de possibilités d’expression organisée qui doivent être utilisés. En aucun cas, la communication institutionnelle ne doit être détournée à des fins de promotion personnelle.
F.11 Le magistrat évite de s’exprimer, même avec prudence et modération, sur les causes dont il est susceptible d’être saisi. Le magistrat, individuellement, ne communique pas directement avec la presse sur les affaires qu’il a en charge. Cependant, en application de l’article 11 du Code de procédure pénale, le magistrat du parquet peut rendre publics des éléments objectifs d’une procédure, dès lors qu’il ne porte aucune appréciation sur le bien-fondé des charges retenues.
F.12 L’obligation de réserve ne s’oppose pas à la participation du magistrat à la préparation de textes juridiques. Elle ne lui interdit pas, en tant que professionnel du droit, la libre analyse des textes. (…)
F.15 L’expression d’un magistrat ès qualités, quel que soit le support ouvert au public, nécessite la plus grande prudence, afin de ne pas porter atteinte à l’image et au crédit de l’institution judiciaire. Il en est de même de la publication, par des magistrats, de souvenirs professionnels personnels. »
Il appartient au Conseil d’apprécier si l’expression publique de M. Courroye, au travers des articles de presse visés par les plaignants, participe de l’exercice normal, fût-il maladroit, de la liberté d’expression accordée à tout citoyen, ou si, par la critique publique ou la simple analyse de décisions de justice le concernant personnellement et contre lesquelles il a pu exercer les voies de recours ouvertes à tout justiciable, formulées dans le cadre de sa défense pénale mais publiées avec la référence de sa qualité de procureur de la République, ces déclarations constituent une atteinte caractérisée à l’obligation de réserve qui s’impose au magistrat et partant, une faute de nature disciplinaire.
Ainsi qu’en disposent les articles 58-1 et suivants de l’ordonnance du 22 décembre 1958, dans sa section III sur la discipline des magistrats du parquet, il appartient à la formation du CSM compétente pour la discipline des magistrats du parquet, dans l’avis motivé qu’elle transmettra à Madame la garde des sceaux, de dire, au vu des éléments exposés dans le présent rapport et de ceux qui résulteront des débats à l’audience de ladite formation, si les faits reprochés à M. Courroye sont constitutifs d’un ou plusieurs manquements aux devoirs du magistrat et, dans l’affirmative, d’émettre un avis quant à la sanction que la faute disciplinaire ainsi retenue doit entraîner.
Fait à Paris, le 10 septembre 2013.
Le rapporteur
Christian Raysséguier
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Source Article from http://libertes.blog.lemonde.fr/2013/11/25/lintegralite-du-rapport-disciplinaire-au-csm-sur-philippe-courroye/
Source : Gros plan – Google Actualités
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L'astrologie est une forme de voyance qui étudie l'influence que les objets cosmiques lointains , généralement des étoiles et des planètes, ont sur notre existence . La position du soleil, des étoiles, de la lune et des planètes au moment de la naissance des personnes façonnent leur personnalité, affectent leurs relations amoureuses et prédisent leur situation financière et professionnelle, entre autres divinations de voyants question gratuite par mail.
Ce que la plupart des gens connaissent de la voyance par l'astrologie est leur "signe", qui se réfère à l'une des 12 constellations du zodiaque. Il s'agit d'une forme d' astrologie solaire , qui est l'astrologie sur laquelle l'horoscope est basé . C'est probablement la forme la plus simple , parce que rien d'autre que la date de l'anniversaire d'une personne est nécessaire pour générer un horoscope soleil - signe. De nombreux voyants et astrologues vous diront que cette forme d' astrologie est tellement simpliste qu'il produit des résultats très limités .
Pour produire une voyance précise, les astrologues en ligne vérifient afin de voir pour chaque signe chaque planète se trouvait au moment de la naissance . Les planètes et les signes se combinent avec d'autres éléments, tels que les maisons et les angles , pour former un profil de voyance complexe et souvent très spécifiques de la personnalité d'une personne , la vie et les perspectives d'avenir en particulier la voyance du couple et de l'amour
Aujourd'hui les meilleurs voyants et médiums en ligne, les meilleurs numérologues sont accessibles sur internet, plus besoin de se déplacer dans un cabinet de voyance, la consultation de voyance se fait par téléphone. Vous allez découvrir avec la voyance en ligne beaucoup plus que vous ne l'imaginez.
Combien de fois dans votre vie avez-vous été hésitant ou réticents à entreprendre une action? Souvent, nous avons des doutes sur un emploi, un partenaire ou même notre bien-être. Pourquoi ne pas être prêt pour les événements à venir? La voyance par téléphone peut vous aider à y parvenir. Notre destin est prédéterminé par la naissance, mais de temps en temps, nous sommes en mesure d'en changer le chemin grâce à la voyance internet. Outre leur don naturel de voyance, les médiums sans attente utilisent des supports tels que le tarot de marseille ou l'oracle de Beline, qui sont généralement associés avec leurs prédictions afin de prévoir des événements futurs de façon plus précise et plus clairement.
Leur travail et leur expérience dans leur domaine respectif, que ce soit la numérologie, le tarot amour sans attente ou l'astrologie en ligne immédiate, sont une source de confiance dans l'exactitude et la précision de leurs ressentis. La voyance gratuite en ligne ou voyance par téléphone est une pratique qui peut prend de nombreuses formes, mais un seul objectif: vous offrir une voyance de qualité, une voyance au téléphone qui changera votre vie.
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