Rarement la pénurie de médecins en France n’aura autant été visible des directeurs d’hôpitaux. De leur côté, les Français observent tous les jours la difficulté à obtenir un rendez-vous dans des délais raisonnables – il faut, à certains endroits, atteindre 6 mois pour consulter un spécialiste (hors urgences).
Une pénurie qui va s’aggraver
Cette pénurie va s’aggraver avec le départ à la retraite de la génération du baby-boom et être maximale dans les 10 prochaines années. Même si le numerus clausus à l’entrée des études de médecine a été largement augmenté dans les années 2000 (passage de 3500 en 1990 à plus de 7500/an en 2013), cette augmentation a un impact décalé lié à l’exceptionnelle durée des études (de 9 à 11 ans, parfois plus) et à des changements de comportement professionnel (féminisation, exercice temporaire, …).
Cette pénurie va augmenter le phénomène de désertification médicale dans certaines zones et altérer les comptes d’hôpitaux publics qui seront pris en étau entre la perte d’activité d’un côté, et le besoin de recourir à des intérimaires de l’autre (500 millions d’Euros/an de surcoût d’après le rapport Véran). Pour les citoyens, les délais de rendez vous risquent de s’allonger et cela peut, dans certains endroits, faire courir des risques de santé publique.
Cette pénurie traduit d’abord un problème d’organisation
Pourtant la France n’a jamais compté autant de médecins en activité (215 000 en 2013), et elle présente un effectif médical qui se situe dans la moyenne des pays de l’OCDE (Panorama de la santé 2013) – ce qui montre qu’au-delà des chiffres, la pénurie est également causée par des défauts d’organisation de notre système de santé. Autrement dit, il serait possible d’y faire face sans augmenter les coûts du système de santé, en agissant notamment sur les 3 leviers suivants :
1) Aligner la carte du système hospitalier sur celle des besoins. Malgré les rapports répétés et circonstanciés sur les dangers des petites structures (notamment obstétricales et chirurgicales), les autorités publiques ont des difficultés à les fermer face à la mobilisation des populations environnantes. L’argument invoqué par les défenseurs de ces structures est celui de la proximité et surtout par le souci de préserver l’emploi dans des zones souvent sinistrées.
Mais peut-on mettre en balance ces arguments face à la mise en danger réelle des patients lorsque des structures ne réalisent que un à deux « actes » par jour alors qu’il est scientifiquement prouvé qu’on ne fait bien que ce que l’on fait souvent.
Du reste, la fermeture de certaines petites structures n’est pas la seule alternative, un regroupement entre sites peu éloignés géographiquement est souvent réalisable avec une spécialisation différente des sites. Mais la symbolique liée à certaines activités (maternité par exemple) reste importante dans certaines petites communes. Mais, à nombre de médecins constant, il faut bien comprendre que garder des structures peu productives revient à créer une pénurie artificielle là où ces médecins seraient réellement utiles…
2) Développer la délégation de fonctions et de compétences aux professions paramédicales. La formation médicale est un levier coûteux et long à actionner, alors que la formation paramédicale (en général d’une durée de 3 ans) peut s’actionner plus aisément. Certes, transférer des compétences initialement dévolue aux médecins, peut toucher l’égo de certains médecins et contribuer à transférer les revenus y afférents.
Mais est-ce réellement valoriser le rôle du médecin que de lui confier des actes qui nécessitent des formations plus courtes dans les autres pays du monde ? Après tout, la plupart des accouchements sont du ressort de sages-femmes. Dans de nombreux pays, la prescription de lunettes et de lentilles est (très bien) réalisée par des techniciens. Aux USA et au Canada, ce sont des « paramedics » qui interviennent dans l’équivalent du SAMU alors qu’en France on mobilise des médecins qui seraient (parfois) mieux employés ailleurs.
Un pharmacien serait mieux utilisé à donner des conseils sur la rationalisation des ordonnances plutôt que sur la vente de produits parapharmaceutiques.
Les avantages en termes de coût sont évidents : un médecin hospitalier coûte en France l’équivalent de 100.000 euros contre 50.000 pour du personnel paramédical. Actuellement, les rares délégations se font sous l’étroit contrôle de médecins, ne réglant pas suffisamment le problème du délai d’attente, et ne permettant pas une réelle économie (car partageant des revenus). Réclamer l’avis d’un médecin pour tout n’a pas plus de sens que de réclamer systématiquement l’avis d’un médecin spécialiste au lieu d’un généraliste.
Or, il est devenu obligatoire depuis 2005 de passer par son généraliste avant de solliciter un spécialiste, sans que cela n’altère la prise en charge des patients. De même, pour certains actes, il faudrait passer par un praticien paramédical plutôt que par un médecin.
3) Revoir la distribution de l’offre de soins, trop concentrée sur les grandes villes et les régions côtières (notamment du sud), laissant « désertique » certaines parties du territoire. Les solutions contraignantes sont complexes à mettre en œuvre tellement les situations sont variables et les spécialités médicales nombreuses (plusieurs dizaines). Plus efficace, l’incitation donnée aux médecins peut être financière avec une sur-rémunération (comme dans certains territoires d’outre-mer), basée sur l’offre de postes publics (en diminuant les postes publics dans les zones bien couvertes par le privé et vice versa), basée sur la formation (en accroissant les postes formateurs dans les régions déficitaires) ou être basée sur le mode de travail (regroupement des praticiens dans des maisons de santé).
Une réforme globale est nécessaire
Il est donc possible, si nous le souhaitons vraiment, d’éviter sans surcoût les effets de la pénurie médicale, et de ses conséquences pour les patients -un système de santé dans lequel les riches passeront devant les autres dans des files d’attentes qui iront croissantes. Mais les solutions à cette pénurie médicale requièrent de réformer l’organisation, aux études et aux statuts des professions médicales et paramédicales.
Si l’on part du principe que notre système de santé continuera à avoir des moyens contraints dans les années qui viennent, les décideurs qui auront, aujourd’hui, fait le choix du statu quo seront, demain, responsables de la dégradation de l’accès des français au système public de santé.
Dr Mehdi MEJDOUBI, médecin et Chef de pôle, pour l’Observatoire du Long Terme
Source Article from http://www.latribune.fr/opinions/tribunes/20140116trib000809986/penurie-de-medecins-a-qui-la-faute.html
Source : Gros plan – Google Actualités
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